22/03/2014
La construction du paysage de montagne : Michael Reisch
Michael Reisch, Scheublein + Bak, Zurich, janvier-avril 2014.
La montagne comme tout paysage a besoin d’intermédiaires. Elle attendait Michael Reisch pour qu’il la complète. Sans lui elle cessait (presque) d’exister. Le photographe révèle son anonymat, anime son théâtre, en révèlent divers aspects mais surtout les formes générales essentielles. Chaque prise est l’engouffrement où l’espace dessine à ses forces, ses mouvements. Une géométrie cachée est mise à nue dans chaque transposition. Elle devient écho, perte, érection, froissement dans l’obliquité des angles et leur jonction là où le rectangle n’enferme jamais complètement l’inclinaison des pentes. Ne s’y retrouve pas forcément ce qu’on attendait : s’y découvrent des murailles d'indices et d'indicibles. A savoir les filons, les veines qui veillent sur nous ou nous font errants dans le silence strié du magma, ses souffles immenses, ses cris empierrés, ses ogives aux creux d’attente.
Parfois émergent une volupté inquiétante, une offrande. Venue d'où ? Allant où ? Entre terres et ciel plein et plomb du monde à la charnière des vents. Michael Reisch nous fait alpiniste, voyageur mais avant tout rêveur. Nous grimpons après nos paumes tandis que la lumière tombe sur les Alpes. Elles se corsètent d’argent, retiennent le regard, inventent un silence qui n’existe pas. La photographie dit aussi ce que les mots ne font pas. Reste la victoire du geste et de la prise : à la force du paysage répond celle de l’image qui n’en est pas un simple miroir puisqu’elle met du paysage dans du paysage, du ciel dans du ciel. Elle devient un point de vue subjectif entre le minéral et la neige, entre la vie de l’homme et ses vieux matins transmués en souvenirs.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:03 Publié dans Culture, Images, Nature, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
04/06/2013
Jura chic parc
« Paysage(s) » - Giles Aubry, Damien Comment, Philippe Queloz en dialogue avec les œuvres de Coghuf, Albert Schnyder, Charles Robert, Laurent Boillat, Auguste Quiquerez, Musée Jurassien des Arts, Moutier, du15 juin au 1er septembre 2013.
L’exposition du Musée de Moutier propose une interrogation sur le sens du paysage dans le contexte du Jura Suisse. Elle fait entrer en confrontation mais aussi en symbiose trois artistes contemporains avec les œuvres historiques que possède le musée. Cette mise en espace permet de comprendre combien l’œuvre paysagère est toujours une interprétation et en rien une simple représentation. Au XIX siècle une tendance idéalisante prédomine sous le joug du romantisme de l’époque. La vision est devenue plus critique avec le temps. Débarassé de tout souci de documentation par la photographie l’art en propose des « visages » de plus en plus diversifiés.
Gilles Aubry, Damien Comment et Philippe Queloz tous trois natifs de Delémont possèdent une expérience intime de la géographie du Jura. Les trois la mettent néanmoins en question de manière différente et selon divers médium. On est loin des deux paysagistes les plus connus qui ont peint le Jura : Albert Schnyder et Coghuf. Le Délémontain et le Bâlois ont créé l’image de marque de la région mais l’ont éloigné de ses réalités. Laurent Boillat et Charles Robert s’en sont un peu plus rapprochés. Néanmoins dans toutes ces œuvres la montagne est traitée de manière « exotique », qui n’a pas disparu. Les vues des reliefs accidentés font encore les délices d’une peinture disqualifiées. Elles gardent encore ses fidèles amateurs de gorges profondes et d’érections escarpées propres à une certaine idée du sublime .
Face à ces visions les trois contemporains font figure d’iconoclastes. Gilles Aubry intègre à son installation le plus ancien témoignage photographique du paysage jurassien : les calotypes d’Edouard Quiquerez. Ils sont considérés comme les premières images « réalistes et objectives » du monde jurassique. Damien Comment joue subtilement à travers le portrait sur une l’ambivalence : le Jura oscille entre Eden et Enfer. Des figures adolescentes en surgissent entre timidité et impudeur. Philippe Queloz a choisi une installation multi médias afin d’intégrer une vision axée sur le déplacement. Désormais le paysage ne se contemple plus de manière statique mais en voiture, avion, train voire de manière virtuelle. Il se réduit à une traversée ou un road movie. Forcément ses lignes directrices se transforment (exit la perspective traditionnelle). L’artiste en donne les raisons.
Les trois contemporains à l’inverse de leurs aînés entrent dans le paysage tout en s’en dissociant. Il ne s’agit plus de faire du Jura un parc d’attraction ou naturel. Prenant conscience des imbrications sociales et politiques de l’élément spatial ils ne font plus entrer dans des sous-bois mais en état de seconde nature. Le paysage devient un lieu incarné et un espace critique. Par effet de buée et d’hybridation les œuvres ne cherchent pas la séduction mais une précipitation. Au spectateur de cette exposition intelligente et par la confrontation de leurs œuvres et celles de leurs aînés - de découvrir - ou non - une cohérence. Avec « Paysage(s) » non seulement la nature mais l’art sont rendu à leur doute. Preuve que l’art ne se limite jamais au simple « développement photographique’. Il invente des narrations différentielles. Mais faut afin d’y parvenir non seulement de nouveaux médiums et des techniques inédites sont nécessaires : un regard est essentiel. Il fait le génie d’une œuvre. Ou sa banalité. Les trois artistes penchent ici du premier côté.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:05 Publié dans Culture, Images, Nature | Lien permanent | Commentaires (0)