22/03/2020
Thomas Ott : Melancolia 66
Le Zurichois Thomas Ott dessine donc en noir et blanc selon l'usage de la technique de la carte à gratter. Si bien que le noir domine puisqu'il reste toujours le fond de l'image et sa présence demeure comme par défaut. Dès lors sa "Route 66" est plus nocturne que solaire. Même lorsque sont atteints l'Ouest et ses déserts.
Les planches cinématographiques annoncent un monde perdu et qui ne reviendra plus. L'oeil parcourt des cases larges qui s'étendent souvent d'un bord à l'autre de la page mais tout en restant étroites. Cette réduction de type navigation à vue crée un univers étrange et le plus souvent muet - le texte est présent uniquement en tant qu'élément du dessin (pancartes, panneaux, etc.).
Une telle bande-dessinée par excellence road-moviesque est plus pour adultes que les enfants par son écriture et sa captation. L'univers est certes naturaliste mais le noir et blanc crée une distanciation. Nous rentrons dans les coulisses de la route 66. Elle dérape ici entre parkings et motels plus que dans des univers paysagers oniriques.
Jean-Paul Gavard-Perret
16:04 Publié dans Culture, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
L'homme seul du fleuve Sinú : Enan Burgos

Ses portraits de nus sont des plus fascinants. Le corps y est préféré au visage. En émane une sensualité appétissante. Le cheminement du désir est implicite et l'artiste le revendique non sans humour et en offrant une grâce particulière à un excès contre l’obscurantisme du monde. Preuve qu’Enan Burgos n’a rien d’un nostalgique. Il reste un peintre de la lumière et du rêve qui est l'antipode de la simple songerie.
Sa peinture est forte, violente, chargée et en dehors de tout effet de décor. Ni devant un corps ou un paysage mais dedans le créateur ne propose pas forcément un voyage en enfer mais au paradis terrestre. Il ouvre les plastrons de la chair jusqu’à en montrer les entrailles au besoin. Le corps reste le rappel du passé parfois léger et souvent douloureux mais encore de toujours l'espoir d'un futur à soulever .
Jean-Paul Gavard-Perret
Enan Burgos, "Nudité/Desnudez", Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 32 p..
09:15 Publié dans Culture, Images, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)
21/03/2020
Les libérées de Colette Deblé
"La même aussi" se dresse, isolée dans chaque page, confinée (elle aussi...) car dégagée de son contexte initial. "J’arrache, extrais, isole, ravis, détache, extirpe la femme du contexte, paysage, situations, activités, compagnons, compagnes, représentations, places, mises en scène mythologiques, toilettes, intimités, vanités, époques, patrie. " écrit l'artiste pour donner à la femme la place dont elle a été dépouillée dans l'art et l'Histoire.
Une vérité profonde émerge contre la dépertition. Arrachements, extractions, découpes permettent aux femmes de voyager libre là où elle s’enfante en renaissant. Existe ce qu'elle nomme le "multiple assigné au papier, l’hyperbole infinie de la destinée au féminin en grâce et en lutte".
Contre la violence la créatrice opte pour la douceur dans des chemins qui rétablissent une justice. « Je suis le trait qui retient les choses, le trait de l’apparition, la mémoire, celui qui reste contre la mort. » écrit Colette Deblé. Ses femmes ne sont ni des saintes, ni des figures figées. Elles s'ébrouent vivantes et libres quel que soit leur origine : paysannes, révolutionnaires, religieuses, indiennes, faunesses, archétype. Toutes sont détachées de la typologie qui les fige et fixe. La vie avance dans leur guirlande.
Jean-Paul Gavard-Perret
Colette Deblé, "La même aussi", Aencrage & Co.
13:41 Publié dans Culture, Femmes, Images, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0)