22/05/2014
Eros Bacchus : sévices divins
« éros Bacchus, l’amour et le vin », Château-Musée du Vin d'Aigle du 23 mai 2014 au 28 février 2015 et catalogue Editions Humus, Lausanne.
Toute une sélection d’œuvres d’arts venues d’époques différentes, d’objets issus des arts populaires, de cartes postales, d’ex-libris et d’étiquettes de vin montre comment opèrent de concert deux ivresses. Certains artistes contemporains présents sont presque déplacés dans ce superbe concert : que vient y faire une Marie Morel ? Néanmoins il ne faut surtout pas bouder une telle fête. D’autant que le vin rend l’homme dit-on plus vigoureux. Ce qui est certain : il n’affaiblit pas la femme. Du moins si l’on en croît les transports amoureux aux configurations nombreuses présentées ici. Eve et son breuvage y prennent robe (provisoirement pour la première), cuisse et bouquet.
Le masque d’éros devient l’orpailleur de cérémonies informelles destructrices de l’abstrait. Il booste le désir vers ce qu’il est : indicible et essentiel. Sous l’effet de la dive bouteille celui-ci ignore ses limites et cultive des dissonances que certaines chansons bachiques réunies ici poussent vers le refus de la mort. Sauf bien évidemment de la petite…
Par l’ivresse alcoolique monte un ordo amoris dont le désordre programmé à dessein soustrait l’être à sa retenue. L’exposition et le livre tombent donc à pic pour opposer la voix qui chante l’amour aux discours moraux et aseptiques. Sur un lit blanc défait des cuisses en deviennent plus dorées surtout lorsque le désir se multiplie de bulles dorées. Des Vénus qui ne devaient pas se croiser s’y abandonnent ne gardant sur elles que leurs bagues et des mots débraillés. Qu’importe si l’histoire de l’ivresse n’est que celle de moments volés. Ils ne durent que le temps de l’emprise et de l’étreinte où le rouge du vin se mêle au rouge Chanel. Il faut donc en profiter et venir retrouver en « éros Bacchus » la douce piqûre de rappel aux plaisirs qu’on voudrait donner pour démodés au non du safe-sex et des sodas généralisés.
Jean-Paul Gavard-Perret
16:04 Publié dans Culture, Humour, Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
Sabrina Biro : indices et stratagèmes
Lors de l’exposition « La belle contrainte » Sabrina Biro proposaitune intervention éphémère où elle ouvrait à l’épreuve de la rue des images « anodines » et pourtant très intimes dans le choix retenu : oiseau mort sur un mouchoir, platine d’enregistrement, jeune fille au flash en soutien-gorge et blazer mais aussi une vache "gothique". Cette dernière fixe l’objectif imprimant chez le regardeur une sensation étrange de toucher à une image mentale. Depuis la créatrice met en scène des natures mortes fondées sur des motifs de « tatouages ». Cœurs, roses, dagues, crânes etc. sont assemblés selon les représentations qu’on trouve dans les armoiries comme dans les catalogues de studios de tatouage. Ces images amalgament les symboles et signes de l’histoire de l’art revue et corrigée par la culture urbaine underground.
L’artiste en ses vanités garde l'odeur de sainteté en horreur. L'ostentation possède un aspect particulier : il s'agit de faire surgir les images plus profondes influencées par le religieux ou le vernaculaire des vanités ou du gothique. Néanmoins en de telles mises à jours, il existe forcément une sorte de "pornographie" si on entend par là que la Vaudoise donne à voir de la façon la plus crue ce qui échappe à la vue. Elle n’exhibe rien pourtant du cercle de l’intime : devant chaque œuvre le regardeur reste un Narcisse mélancolique interrogeant la généalogie de fantômes inconnus.
Jean-Paul Gavard-Perret
15:01 Publié dans Femmes, Genève, Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
21/05/2014
Jean-Luc Godard : qu’aurait-il fait dans cette galère ?
J-L Godard n’est pas allé à Cannes. Il a bien fait. Le seul risque qu’il courait n’aurait pas été seulement de se faire siffler par les myopes mais de se prêter au jeu de clown sérieux auquel il a du mal à renoncer dès qu’on lui tend un micro. Il faut dire que les journalistes aiment se faire tancer par l’iconoclaste. Il répond à leur attente et ne se prive pas de proférer des sentences assassines dont ils se délectent. Godard reste le cinéaste que les gogos aiment écouter même s’ils n’entendent pas grand-chose à son cinéma.
Certains néanmoins pressentent que dans son cinéma les choses bougent. Après « Film Socialisme » et avec « La fin de langage » ils sont servis. Ils croient sans doute que ce film prouve chez Godard une paradoxale faim de mots, l’amour des titres et - dit-il - leur « obligation bancaire »…. Faire un film ajoute-t-il c’est « payer sa dette ». Preuve que le film porte un sens de la faute et un besoin de la rédemption toute chrétienne. Se comprend au passage tout ce que Tarantino lui doit au sujet de la rédemption. Le kid admire son aîné. Ce qui n’est pas (euphémisme) le cas de ce dernier.
Mais passons. Rappelons ce que Godard apprend : « émettre un titre » ne suffit pas à faire un film. Y inclure des citations en inserts non plus. Trop de critiques oublient que le réalisateur vaudois demeure peut-être le plus grand poète visuel. Il ne réduit pas le cinéma à une femme damnée sur laquelle il appliquerait un fard. Il cultive de prétendues impasses de dérives ou plutôt des traversées multiples Et si le cinéma est selon lui « un juge d’instruction » sa procédure d’appel passe par la seule image. Elle fait vivre les métaphores. Elle ne se réduit pas au récit d’un cinéma à histoires mais devient poésie et musique, histoire du cinématographe. Une anthropologie aussi. Dès lors tout peut être reproché à Godard sauf de suivre la route dérisoire de la pose et de la gloriole. Il ne propose jamais un discours en images mais l’image de discours mis en abîme dans l’épicentre d’une beauté que seul il saisit de nos jours et comme en son temps Chaplin le fit. Répondant à ce que Baudelaire écrivait, les secondes de ses films « sont fortement accentuées et chacune dit : je suis la vie, l’insupportable, l’implacable vie ».
Jean-Paul Gavard-Perret
17:28 Publié dans Culture, Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)