08/08/2014
Voix-off de Mélane Zumbrunnen
Archéologue la vaudoise Mélane Zumbrunnen semble surtout influencée dans son travail de plasticienne par la littérature : Pérec dans sa quête du réel; Irving pour sa vision noire du monde. Cet amour du littéraire tient à la nécessité narrative que l’artiste produit dans ses photographies d’où paradoxalement surgit non des mots mais du silence. Les châteaux en Espagne sont bâtis en noir et blanc ou couleurs puis scénographiés dans des lieux austères qu’ils sculptent le temps d’une prise à la beauté particulière par une image travaillée comme une peinture.
Le réel est à la fois recomposé mais tout autant saisi comme par inadvertance ex-abrupto et de manière poétique. Tout devient sujet de fascination comme pour Alain Cavalier qui dit la créatrice « dans Lettre d’un cinéaste, filme sa table, une épluchure d’orange, un couteau dans l’évier. La même impression ressort des images de l’artiste : ça n’a l’air de rien et c’est génial ». Chez Mélane Zumbrunnen aussi tout est saisit l’immédiateté de sensations optiques et relevé au rang de nature morte. La plasticienne métamorphose le concept de trace. Il échappe soudain à l’étouffement compassé et compassionnel. Il fait histoire dans la force magique de constructions imageantes qui permettent d’échapper à une fatalité que tout regard rétrospectif induit. La photographie échappe à une forme d’arbitraire ou d’abstraction. Les objets montrés possèdent soudain un « cri » au sein d’égarements à la fois graves et subtiles. Se détournant de tout effet de banale autofiction l’œuvre devient une aventure originale voire originaire du langage visuel.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:44 Publié dans Femmes, Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
Adrien Couvrat : organisation de la couleur
Adrien Couvrat, Galerie Heinzer Resler, été 2014, Lausanne
Sur une mode apparemment mineur Adrien Couvrat crée une exaltation particulière. Il y a des accents schubertiens dans une forme de dépossession sereine du réel, de ses masques et ses ombres. Une étrange chaleur psalmodie l’espace par une invisibilité mise à nu et en urgence au sein de ce qui devient une mélopée du silence. Loin de toute propension narrative la peinture se parle en cultivant une rupture étincelante et une sorte de « métaphore » inoubliable. L’œuvre sort la peinture de son confinement sans rien céder de ses secrets. Existe une stridence paradoxale ample et diffractée. L’innommable, l’indicible sont présents: la peinture n’est plus que le mouvement tremblé de ce qu’elle fait naître dans ses effets d’à-plats. La monochromie soulève les ombres dans un glissement d’air. Un large appel embue le regard, une brume de tristesse est poussée au-delà par la pellicule plastique et ses harmoniques. Une douce ampleur - pareille à l’intérieur d’un regard où la même coulée réunit solitude et solidarité - ne se laisse pas distraire par une connaissance prérequise. Une disponibilité entière saisit là où tout est en place et où rien n’habite pleinement tant l’insaisissable domine et laisse volontairement le regardeur en attente le mettant face à ce qui révèle une évaporation ou une consumation.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:24 Publié dans Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
07/08/2014
Les combinatoires d’épuisement de Thomas Hauri
Thomas Hauri, Balt Projects, Zurich, du 21 août au 4 octobre 2014.
De plus en plus Thomas Hauri engage divers processus d’effacement et d’oblitération des images. Disjonctions incluses. Une science aigue des possibles rejoint une décomposition. C’est peut être comme l’envers et l’endroit d’une même chose. C’est aussi la poursuite de l’informe ou de l’informulé. Et un moyen d’abolir le réel. Beaucoup d’artistes sont trop polis ou frileux pour aller jusque là. Ils restent dans un abstrait qui n’est pas celui de Hauri. Pour lui il ne s’agit pas de décrépitude ou d’une simple visée métaphysique. Il est plutôt question d’atteindre l’épuisement non de l’objet mais du sujet de la peinture.
Un tel travail est très complexe : il se secrète suivant des flux qui tantôt se mélangent et tantôt se distinguent. Le propos de l’art devient une langue étrangère, il se transforme en autre. Il s’agit du possible mais d’une nouvelle façon au sein de différentes séries des dernières années Thomas Hauri atteint des limites immanentes qu’il ne cesse de déplacer. Hiatus, blanchiments restent néanmoins des images. Elles ne sont plus entachées d’histoires ou de souvenirs. Tout cela pour l’artiste est de l’ordre d’une compagnie indésirable.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:13 Publié dans Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)