31/01/2015
Florent Meng de la photographie à la vidéo
Avec « Notes sur H2 » le franco-suisse Laurent Meng donne un nouveau tournant à son travail en passant à la vidéo (qu’il avait côtoyé en co-réalisant « Parking »). Quittant la photographie l’artiste trouve dans l’image en mouvement le moyen de ne plus la dissocier de la parole. Plusieurs de ses séries photographiques s’orientaient de facto vers un tel art puisqu’elles se développaient sous forme de narrations. Elles étaient construites sur le mélange de plans larges ou de panoramiques dans lesquels les gros plans venaient créer un mouvement de contrepoint : « Riffle Through Dead K » & « So Long Bobby » « résonnaient » déjà comme un filmage d’images fixes.
Avec « Notes sur H2 » le pas est franchi vers le mouvement. La vidéo saisit la réalité de la zone « H2 » de Cisjordanie qui est passée sous le contrôle le l’armée israélienne pour protéger les colons venus s’y installer. Le lieu a vu le départ des Palestiniens si bien que la majorité de l’espace est devenu fantômatique. Le film se revendique largement comme un documentaire politique. Il renvoie aux problèmes du Moyen-Orient dans son ensemble et d’Israël en particulier. Néanmoins cette vidéo échappe à une forme de simplification et remet au centre du débat le coexistence conflictuelle des religions. Echappant au réductionnisme partisan (d’un côté comme de l’autre) Meng évite la neutralité. Il creuse la réflexion politique mais aussi esthétique sur le caractère du documentaire. L’artiste en souligne l’aspect hybride. Meng n’hésite pas à appeler sa vidéo « film de science-fiction documentaire ». Sur fond sonore créé par le musicien Ceel Mogami de Haas, l’artiste propose un univers dont la force des images est post-apocalyptique. Y surgit un « dernier homme ». Pour preuve et en prologue à la vidéo, Harry Belafonte (dans « The World, The Flesh & The Devil, 1959) apparaît. Il annonce son double perdu lui aussi dans un espace de chaos. Mais désormais la fiction est remplacée par le réel.
Jean-Paul Gavard-Perret
Florent Meng, « Notes sur H2 » (vidéo) 2014, « Bourses déliées » Fonds cantonal d’art contemporain, Halle Nord, Genève (2014)
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30/01/2015
Fabienne Radi : rendre vivante la peinture
Fabienne Radi, Cent titre sans Sans titre, Boabooks, First Edition, Genève, 26 CHF.
A l’inverse de ce qui se passe pour les livres, des œuvres d’art on ne retient jamais (ou rarement) le titre mais leur auteur. Fabienne Radi répare ici ce méprisable malentendu en choisissant parmi un catalogue de 3000 titres ceux qui lui parlent même si elle n’a pas les œuvres retenues. A la manière d’un Derrida (en plus coruscante et incisive) l’iconoclaste développe un essai sur la question du titre dans l’art, explorant ses potentiels fictifs par delà les considérations liées à l’histoire de l’art. En conséquence elle fait clignoter dans les cases du cerveau des lumières intempestives. Chaque titre (sauf bien sûr ceux qui n’en n’ont pas - d’où le libellé du livre) permet d’imaginer des souterrains, des sentiers, des pizzas aux ingrédients inédits car à l’inverse des noms d’artistes qui sont là pour canaliser l’imaginaire, les titres battent la campagne pendant qu’elle est encore chaude (et même lorsqu’elle devient glacée).
Celle qui aime entreprendre des réformes (elle n’habite pas à Genève pour rien…), renonce ici à classer, à lutter pour les femmes, prononcer des sentences girondes. Au besoin telle une infirmière peu amène elle tire sur des ambulances en un livre qui n’est pas conçu pour lui apporter des palmes ( à moins qu’existe le Grand Prix du Pourquoi Pas). Sortant les titres des réflexes automatiques, par son esprit preste et zélé, Fabienne Radi invente des cartes du tendre plutôt que tendre sa carte Cumulus aux caisses de Migros. Surgissent pêle-mêle des considérations de derrière bien des fagots et de nombreux fourrées. Manière de revisiter le sens d’œuvres sans le moindre didactisme et sans rien (apparemment) de strictement « intellectuel ». Le jeu en vaut la chandelle s’y éprouve l’amour de la vie et l’intelligence de l’art. Il ne s’agit pas ici de peindre la vie mais de rendre vivante la peinture.
Jean-Paul Gavard-Perret
11:42 Publié dans Femmes, Genève, Humour, Images, Lettres, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
29/01/2015
Sniff, Sniff
« Belle Haleine - L'odeur de l'art », Museum Tinguely, Bâle,11 février - 17 mai 2015
Sur le clavier des sens de l'art plastique l'odeur est la belle délaissée. Contrairement à ce que pensait Baudelaire les parfums ne répondent pas (ou très rarement) aux sons ou autres stimuli. Pourtant, les odeurs évoquent, subjectivement et/ou culturellement des émotions, des souvenirs et associations. La fameuse Madeleine de Proust est toujours là afin de le rappeler. Mais pour la première fois (sauf erreur) une exposition place l’odorat au centre de la perception esthétique. Les responsables de cette audace ont par ailleurs la bonne idée de casser un dogme. Lorsque l’art recourt à des stimuli olfactifs, c’est souvent de manière subversive. Les odeurs se veulent en art le plus souvent provocatrices, sulfureuses et repoussantes. On a souvent glosé sur « l’art et la merde » voire sa fabrication avec la fameuse « cloaqua » de Delvoye. A l’inverse lorsque l’odeur est « bonne » elle s’isole dans un secteur particulier : celui de l’univers du luxe où elle se transforme en parfum.
L’exposition tente donc de répondre à la question : que se passe-t-il lorsque le nez devient le vecteur principal de l’expérience artistique ? Les conservateurs ont fait appel à des œuvres et installations notamment de Duchamp, D. Roth, Ruscha, Soares ou Tolaas pour répondre à ce problème. Le tout est complété par un cinéma olfactif et un vaste programme interdisciplinaire. L’exposition prouve que faire éprouver l’odeur et le parfum est une entreprise délicate mais pas impossible. Elle permet d’évoquer l’impalpable, l’absence. Et peut-être l’indispensable et le plus fort : «De ce qui ne reviendra plus, c’est l’odeur qui me revient», écrivait Barthes tandis que qu’ Elisabeth de Feydeau rappelle que les «mots sentent». L’art trouve ainsi à Bâle sa dimension la plus méconnue, son inconscient (collectif ou non). « Le parfum c’est l’odeur d’homme » disait Giono. L’exposition souligne qu'il est aussi celle de l’art. Sans forcément se transmuer avec le N° 5 de Chanel en effluves ni se réduire aux miasmes de la déjection ou de la putréfaction.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:45 Publié dans Culture, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (3)