13/07/2015
Leoplod Rabus : étoiles des neiges
Les lapines hivernales aux fourrures blanches de Léopold Rabus semblent égarées sur les routes de montagne des Alpes Suisses. Mais est-ce vraiment des lapines ? Est-ce vraiment des montagnes ? Par collages, les corps, âmes, objets, paysages se dégagent de leur coque. Rabus impose donc une autre histoire aux histoires avec une autre fin que celle d’une peau de lapin. Il faut donc regarder des figurations pour guérir du réel et prendre un peu d’altitude.
Peu à peu le spectateur se prend de sympathie pour les visiteurs étranges, les « animaux » plus ou christiques de l’artiste. Les blessures du réel ne demandent qu’à s’asseoir près d’eux en un besoin mélancolique de partager le chagrin du temps passé et de découvrir dans leurs masques des reliques la vie cachée. Beaucoup trouve là (non sans raison d’ailleurs) une manière de rire. Mais comment ne pas être touché ? Les corps sont là pour montrer à ceux qui restent le peu que nous sommes. Lapins, lapines restent emmitouflés. Ils sont pourtant des coups de poing aux carottes avant qu’elles ne soient cuites. Personne pour les protéger ou entendre leur cri. Il convient néanmoins de pactiser avec de tels hybrides : est-ce vraiment eux ? Est-ce vraiment nous ? Tous demandent confusément pardon mais de quoi sinon des cicatrices faites par les autres à leur terre ?
Jean-Paul Gavard-Perret
11:46 Publié dans Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
11/07/2015
Thomas Schunke le coucou : du bon usage du Selfie
Thomas Schunke, « Me, my Selfies and I », Editions art&fiction, Lausanne, 32 pages, CHF 20 / € 13.50.
Dans une période où le « moi » est en rien haïssable et s’élève en batterie Thomas Schunke propose une digression à la pratique des réseaux sociaux : Face-book, Instagram et la maladie du selfie. A longueur de bras cette nouvelle mode ou méthode peut parfois être autre chose qu’un allongement de l’égo. Schunke en profite pour questionner l'autoportrait. Son texte qui accompagne ses prises permet d’affiner leurs propositions en transmettant des expériences vécues sur le web avec ceux qu’on nomme « amis » et qu’on ne connaît même pas.
Plutôt que caresser son « moi » l’artiste suisse multiplie les faces du « je » tout en le cachant derrière divers éléments : fourmi, singe, carpaccio de betteraves, du pissenlit, etc. Le selfie devient une continuité du cabinet de curiosités. Il permet d’explorer et de comprendre le monde en partant d’une « prise » simple mais qui peut être utilisée à des fins métaphoriques. C’est comme si l’artiste cherchait à faire émerger des complicités entre lui et des choses qui deviennent des « calques » du je proposé au jeu de l’imaginaire propre à chacun
Car la notion de réseau est important. L’artiste met bien sûr du personnel dans ses selfies mais ils sont assez ouverts pour que les autres puissent y voir autre chose que l’artiste lui-même. Schunke implicitement semble ne pouvoir dire si ce sont ces fameux « amis » qui viennent à lui ou lui qui vient à eux. Le but est même de parasiter son propre portrait par des contextes qui deviennent des sortes de nids de coucou. Souvent c’est un objet qui déclenche une envie mais ensuite il s’agit d’en faire un casting pour que le coucou soit bien et trouve un moyen de montrer ce qui le touche.
Jean-Paul Gavard-Perret
18:21 Publié dans Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
10/07/2015
Qu’en termes étranges ces « choses »-là sont montrées : Roger Weiss
Roger Weiss avec sa série « Human Dilatation » ne cherche pas à exorbiter le corps par effet déformant pour faire jaillir « du » monstre. Il n’insiste pas non plus sur la prétendue fragilité ou les éventuelles imperfections de ses modèles féminins. Les angles de distorsion permettent de casser les stéréotypes hypocrites que l’idéologie imageante mondialisante fait porter au féminin. La notion de beauté en est donc modifiée.
Le déséquilibre entre les parties du corps retranche les idées reçues, rompt le ceintrage admis. Le physique féminin apparaît en termes étrangers, il se détache des lignes « haricots verts » pour montrer le vide des illusions optiques que nous caressons. Insolent le photographe suisse donne au corps une insolvabilité. Elle permet de nous dénouer de nos percepts. Chaque photographie devient une insurgée. Sans assise ou déboîté le corps à la fois rentre en lui et en sort de manière intempestive. Il est l’indice agaçant créateur d’ouverture par l’audace du photographe. L’image de la femme, de simple « support » confortable, devient un manifeste dadaïste de déconditionnement du conformisme.
Jean-Paul Gavard-Perret
Roger Weiss, « Human dilatation »
11:06 Publié dans Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (1)