07/06/2015
Didier Legaré-Gravel : « de profundis clamavi »
Didier Legaré-Gravel , « Peplum », 9 - 27 juin 2015, Galerie Lignetreize, Carouge-Genève
Souvent, Didier Legaré-Gravel en s'endormant songe à une encre qui serait riche de nouveautés. Au matin, les idées neuves de la veille se transforment bien souvent en éternel recommencement dans lequel sans y prêter une attention particulière, à une heure précise, un instant particulier, émerge pourtant une réussite. Pris seul, le trait y crée déjà une certaine allusion. Multiplié, en l'ajustant tant dans son mouvement propre, son épaisseur, sa légèreté ou encore son élan, il est une perpétuelle ressource, aussi riche qu’inépuisable.
Néanmoins certains, voyant les encres de Didier Legaré-Gravel, peuvent estimer que les tâches c’est finalement facile. En effet : elles le sont comme sont « faciles » les dragons, les épaves ou encore les ruines peuplées par d’étranges fougères et qui au ciel ne sont que des nuages. En créant ses encres l’artiste semble disparaître, être absorbé comme au plus profond d’un trou aux étranges reliefs lumineux. Tout un chantier en cheminement remue bruyamment. La tête et les mains affolées de l’artiste brisent bien des astres lointains et créent des vagues. Elles questionneraient bien des marins, mais l’artiste cherche seulement une forme inconnue là où le dessin ne se maîtrise plus. Si évolution il y a, elle est ailleurs : elle s’opère dans une forme d’apprivoisement d'une gestuelle qui au fil du temps devenue familière, trouble, mouvante, résolument tournée vers l'expression des profondeurs.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:16 Publié dans Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
06/06/2015
Celia Houdart la belle captive
Célia Houdart, « Eveil des oiseaux », 104 pages, Contributions de Graziella Antonini, André Baldinger, Olivier Bouillère, Clélia Nau, Camille Saint-Jacques, art&fiction publications, 2015, CHF 27 / € 24
Lors de ses résidences-invitations d’une semaine et pendant une année (2014) à Ermenonville au sein du parc Jean-Jacques Rousseau et dans le pavillon mis à sa disposition, la romancière Célia Houdard (on se souvient de son « Gil », P.O.L éditeur, Paris, 2015)a tenu pour la première fois un journal plus ou moins « intime ». Elle a profité du projet afin de recevoir des invités avec lesquels elle a entamé divers dialogues : l’écrivain Olivier Bouillère, le peintre Camille Saint-Jacques, l’historienne d'art Clélia Nau, le graphiste André Baldinger et la photographe Graziella Antonini. Ces rencontres ont pris la forme de conversations, lettres, poèmes, dessins, et photographies qui portent la trace des saisons et ont abouti à un livre. Les chants de divers champs s’y accordent grâce à la belle captive consentante. Elle oxygène les empreintes telle une abbesse égarée dans les jeux qu’elle organise.
Ce projet - comme toujours avec la créatrice - est innovant. Rien n’étouffe sous la bure d’un déjà vu. Le livre retrace une « scénographie » temporelle et causale de divers corps à corps esthétiques sobrement mis en scène par Baldinger pour « art&fiction ». Images et indications lapidaires recréent les moments sous forme de pages-séquences (comme il existe des plans-séquences). Les chemins s’écartent, se rejoignent. Chaque pièce crée une immersion d’un genre inédit. Passionnées par les expérimentations transversales la créatrice a donné là un environnement plastique plein de subtilités aux fibres clandestines et aux calligraphies de tentations. Des étamines s’égarent dans l’équinoxe de certains nacres qui président aux trilles des oiseaux. « L’écran » des pages structure une dramaturgie visuelle en décalage de rythmes et en démembrements. Le tout dans une superbe unité offerte par les textes minimalistes de Célia Houdart : elle magnifie l’accomplissement de ses rets.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:47 Publié dans Femmes, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
05/06/2015
Arnaud Cohen et nos Lilith
Réinvestissant à sa main des vestiges du passé artistique, des salles historiques ( la salle synodale du Palais de Sens redessiné par Viollet-le-Duc par exemple), Arnaud Cohen convoque à travers ses mises en scènes et ses sculptures une critique de notre époque (dont un temps les bouteille de Coca-Cola découpées ou montées en colonnes furent le parangon). Dans « Rémission » l’artiste cultive deux ambitions ou espérances qu’il définit lui-même : « celle d’un sursaut vital et d’une rémission du cancer qui nous ronge, celle d’une rémission de nos pêchés à l’heure du jugement dernier ». Entre préoccupations physiques et métaphysiques le créateur montre en filigrane comment « une Europe malade de ses doutes et de ses peurs roule à tombeau ouvert vers un suicide collectif ». L’œuvre est ambitieuse, profonde, habitée mais non sans humour. Ses Lilith deviennent le théâtre de nos passions complices - voire de nos défaites individuelles et collectives à travers les éradications et les crimes de lèse-majesté qu’elles fomentent. C’est pourquoi il faut chérir (en regardeurs regardés) ces divines traîtresses et prêtresses dont la beauté impeccable semble perpétuelle puis se glisser dans coulisses de leur théâtre de majesté à la subtile cruauté.
Jean-Paul Gavard-Perret
Arnaud Cohen, « Rémission + Rétrospection » Palais Synodal, Sens,14 juin- 20 septembre 2015, « A l’ombre d’Eros - une histoire d’amour et de mort», Monastère Royal de Brou, Bourg-en-Bresse, 19 juin 2015 - 4 janvier 2016.
12:10 Publié dans Images, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0)