22/05/2015
Marc-Antoine Fehr : en attendant la chute
Marc-Antoine Fehr , « Point de fuite », Centre Culturel Suisse de Paris, Livre de 214 pages et exposition (du 17 avril -12 juillet 2015)
Zurichois d’origine, Marc-Antoine Fehr est un peintre aux projets toujours originaux. Pour le CCS de Paris , il prépare 6 toiles grand format : paysages, natures mortes ou scènes de genre créent une sorte de cérémonie du chaos où les êtres demeurent en état de protration et les paysages déserts. L’ensemble est renforcé par une série d’huiles plus petites, de dessins et fragments du « Paysage sans fin » (carnets de croquis). Tout semble s’étirer vers la fin et le silence qui fascinent et retiennent le peintre dont les images sont toujours sur le point de se retourner contre elles-mêmes. Il n'y a plus de réalité en acte, plus de réalité en être. Que l'amorphie, l'inanité même si les actes sont en suspens. Il n'existe plus de drame : juste l'attente dans un monde qui ne se rassemblera plus et qui demeure vide. Affaiblie jusqu'à cette limite extrême l’œuvre garde toutefois une force paradoxale : quoique pas véritablement formatrice elle reste conductrice au sein d’une errance statique dans l'indéfini, l'indéfinissable.
Ce processus complexe et radical évite l'assèchement émotionnel et sensoriel En dépit ou à cause d’un certain effacement, ces images en creux portent des charges affectives refoulées, sous forme d'une cohérence défaite ou en décomposition qui n’est pas sans rappeler l’imaginaire de Beckett et un de ses personnages : Bouche (dans « Pas moi ») lorsqu’elle soupire : "monde... mis au monde... ce monde... petit bout de rien... avant l'heure... loin de-... quoi?". Pour Bouche comme pour Fehr le monde n'est rien ou du moins il est régi par de derniers stigmates plus ou moins douteux dans ce qui devient une métaphore du manque ou de l’absence. Néanmoins une implosion sourde suit son cours là où tout semble entraîné au chaos là où perdure un à-peine de la représentation proche de l'extinction de ses feux. Elle garde néanmoins un force poétique des plus suggestives.
Jean-Paul Gavard-Perret
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Claude Luezior : Pavlina et les Enceintes d’Amour
Claude Luezior, « Pavlina - Espaces et transparences », Editions du Tricorne, Genève 132 pages.
Franchir la frontière entre le charnel et le mystique, changer de corps touchent au plaisir, à la jouissance comme aux possibilités d’angoisse puisque les certitudes se voient interpellées par cette traversée. Pavlina ne cesse de la rappeler. Quant au poète Luezior il ponctue en orpailleur les fontaines de jouvence de l’artiste. Pour ses personnages, à l'« aveuglement » de l'amour, répond une attente exaspérée, désespérée. La Vaudoise les montre en instance de purification comme au prise avec le miel charnel. Luezior rappelle que la voyageuse de l'amour ne fait qu’emmener avec elle ses propres bagages, son propre inconscient : si bien que chaque toile devient un lieu de réclusion qui fascine néanmoins le poète charmé par les « femmes-lumières ». Son texte en fragments invite à franchir « à rebours » le seuil de l’œuvre où la femme reste sainte et pécheresse. A son évasion impossible répond la pénétration du regard en un lieu qui n’est plus à l’extérieur d’une frontière mais dedans.
Pavlina y accomplit une avancée vers quelque chose qui n’a plus rien à voir avec un charme de la nudité mais avec un dépouillement. A l’étrangeté éruptive, à l’attrait volcanique de l’amour humain répond un retournement mystique. Ce bond permet à l’inconscient qui habituellement ne connaît pas la traversée des frontières d’être mis en connexion avec ce qui le dérange. L’âcreté de l’inassouvissement se mêle à des moments de jouissance plus ou moins solitaire. Une telle expérience ne peut laisser indemne puisque le saut et l'éclat des œuvres de Pavlina, comme le souligne Luezior, crée un transfert. Il désaxe des assises, des sécurités voire du sens même de désir. Dès lors celles qui restent les Enceintes de l'Amour et n’arrivent pas à venir à bout du cerclage parviennent néanmoins à franchir la frontière interne de l’être. Chaque toile permet de « survivre aux entrailles » en devenant « le témoin de la terre » (Nicole Hardouin) où l’être tel Roland à Roncevaux joue à saute-mouton au bord des gouffres, espérant une brèche, là où il est en quête d’un corps qui doit se quitter et du cor qui lui permet de s’ouvrir à l’altérité suprême, l’extrême transparence de la source première.
Jean-Paul Gavard-Perret
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21/05/2015
Laure Gonthier : états (re)naissants
Laure Gonthier in « Luxe calme & volupté », Exposition au Musée Ariana à Genève du 31 mai au 1er novembre 2015.
La lausannoise pour cette exposition collective - proposée en collaboration avec Swissceramics afin de présenter la diversité de la céramique contemporaine suisse – se distingue par l’érection de ses formes insidieusement phalliques. Nourrie du vers de Baudelaire qui donne le titre à l’exposition l’artiste montre comment la céramique contemporaine élargit son domaine non sans humour et provocation. Dans ses « narrations » plastiques tout devient (peut-être – car le doute est permis) clair derrière les yeux. Ils saisissent à travers ce travail la moiteur des choses sous l’orage mais où la pluie ne veut pas venir. Tel un engourdissement dont nul ne sait s’il vient du corps, de la pensée où d’un lieu l’image-volume apparait en semblant issue d’un enchevêtrement de nuits. Tout ce qu’on peut dire est que s’y pêchent comme dans des étangs noirs et sombres des formes venues de l’inconscient. Elles émergent de la terre en une tendresse insidieusement voilée de violence. Tout ce qui pourrait sembler figé, immuable, trouve à travers l’empreinte et le modelage un paradoxal mouvement du vivant L’éphémère y apparaît en mutation et en état naissant ou renaissant sous l’emprise d’une cuisson qui donne à la « céramique » un nouveau visage.
Jean-Paul Gavard-Perret
11:11 Publié dans Femmes, Genève, Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)