21/05/2018
Les débuts de Martin Parr ou les tremblements du sens
Martin Parr déloge le rapport orthodoxe du réel à l’image pour créer une suite carnavalesque des êtres en diverses situations. Les sujets abordés sont sérieux mais le photographe introduit le quasi délire, la parataxe, l’ironie par sa façon de saisir les circonstances où les personnages - pétrifiés ou non - semblent sortir de leur propre limite sans qu’ils le sachent.
De telles prises mettent le portrait au-delà du psychologisme. Dans ces photographies tirées des premières séries de Parr - « The Non-Conformists, Bad Weather, Beauty Spots, A Fair Day, The Last Resort: Photographs of New Brighton » (première série en couleurs) - les faits deviennent presque hallucinatoires et toujours drôles. Il sait saisir les êtres sans pour autant les prendre en otage.
Existe une dramaturgie toujours drôle loin des principes ou idéaux. La réalité est là où les thèmes de la classe sociale, de la culture et des loisirs de masse ne sont jamais traités de manière surplombante. Nul jugement mais une attention ironique et bienveillante. Loin de toute idéologie l’artiste s’intéresse à la plasticité et au sens à lui accorder en étant attentif aux autres. La photographie ne les tue pas : paradoxalement elle les exhausse au moment où la vie pour eux est plus ou moins belle dans l’espérance que l’avenir dure longtemps….
Jean-Paul Gavard-Perret
“Martin Parr: Early Work 1971-1986”, Huxley-Parlour, Londres du 16 mai au 9 juin
10:59 Publié dans Culture, Humour, Images | Lien permanent | Commentaires (0)
20/05/2018
Jean-Claude Wicky dans les entrailles et sur les arêtes du monde
Jean-Claude Wicky, "Un regard sur l'ailleurs", Musée jurassien des arts, Moutier, du 10 juin au 11 novembre 2018.
Âgé de 23 ans, Jean-Claude Wicky (1946-2016) quitte Moutier pour son premier voyage autour du monde. Son périple durera plus de 5 ans et le mènera vers les mines de l'Altiplano bolivien. Il y retournera plusieurs fois de 1984 à 2001 pour offrir à ses habitants une de ses deux principales séries « Mineros ». Mais il se rend dans toute l’Amérique latine entre autres en Equateur où il construit son autre série majeure « Helieros » (chercheurs de glace).
Ces séries sont d’abord célébrées en Amérique du Sud avant d’être appréciées en Europe. L’artiste fut bouleversé par les galeries de l’Altiplano « pas plus larges que des trous à rats » (écrit-il) là où les hommes doivent supporter la faim, l’obscurité, le manque d’oxygène, les dangers et la silicose. Dès sa première visite il savait qu’il réaliserait ce qui est bien plus puissant qu’un simple reportage. L’auteur a su se faire accepter, descendre avec les mineurs au fond des boyaux, en évitant- pitié et compassion pour photographier l’obscurité, la solitude, le sentiment d’asphyxie.
Cela a demandé du temps et certaines prouesses techniques afin de faire partager le rapport fataliste et quotidien avec la mort sous l’égide de « Tio » - le diable des mines. Feuilles de coca, alcool aident les hommes qui s’habituent à des conditions impensables et qui disent - lorsqu’un des leurs meurt - que la mine réclame son dû. Wicky lui-même a frôlé la camarde mais ne s’est pas contenté de suggérer des drames. Existent des sourires et la beauté des paysages boliviens ou équatoriens. L’auteur a écrit pour ces mineurs un livre culte ainsi qu’un film pour témoigner non seulement de leur condition mais de leur fierté comme celle aussi des « Pailliris » (les femmes qui cherchent des restes de filons dans les roches). Tous appartiennent à ce qu’il nomme « le travail le plus dur du monde ».
Jean-Paul Gavard-Perret
14:19 Publié dans Culture, Images, Monde, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
Vinc : pop-art au carré
Patrie de l’abstraction avec Lausanne, Zurich a néanmoins toujours été intéressée par le Pop’art. Et c’est dans cette ville que le Genevois Vinc trouve une de ses bases. Il rejoint ainsi d’autres artistes suisses de la même mouvance tels que Susi et Ueli Berger, Fernando Bordoni, Carl Bucher, Emilienne Farny, Bendicht Fivian, Franz Gertsch. Mais se produit dans son œuvre un étrange jeu de « change ».
Vinc reconstruit les modalités premières en une sorte de surcharge : il dédouble ou superpose des images originaires (en autres de Wharol) pour créer une nouvelle émergence du chaos à travers des agglutinements intempestifs, des textures et des sarabandes capables de réinterpréter le monde et un art désormais daté.
Demeure une suite de discontinuités, d’éboulis, d’interférences. Codes et codex revisités prouvent que sous le pop-art demeurent des corpus à considérer autrement qu’à l’état de simples reliques. Les méduses de ce style, les Gorgones de Vinc les dévorent.
Jean-Paul Gavard-Perret
Vinc, Foxx Gallery, Zurich.
10:49 Publié dans Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)