04/06/2018
La maison des otages : France Dubois
Au Japon et selon une tradition, lorsqu’une femme a été soumise à la peur suscitée par un mari qui lui a infligé des sévices, elle revient hanter un tel lieu. France Dubois a repris à son compte le retour d’une femme-fantôme muette et plus ou moins en lévitation De telles réapparitions sont propres à suggérer d’étranges fictions domestiques.
France Dubois brouille les cartes de la comédie de l’hypocrisie masculine et les impostures de la société nippone. Face au strip-tease classique qui livre phantasmes et fantasmes surgit un autre champ de « dénudation » dont la transparence reste opaque au moyen d’images aussi pudiques qu’impudiques. L’artiste présente des cérémoniaux où ce qui fut souffrance se disloque.
Le côté macabre est effacé dans de telles célébrations et hantises. Leur ombre flotte. Le destin tragique se transforme au moment où le modèle devient une étoile filante ou filée. Le tout non sans humour et une certaine splendeur. Le corps lumineux remplace le corps meurtri et qui avait dû abdiquer. Une lumière perfore la douleur tragique de l’enfermement. La dépossédée ne subit plus l’oppression de son corps. Elle n’est plus cible mais acquiert une forme de puissance qui contredit l’amputation dont elle fut la victime.
Jean-Paul Gavard-Perret
France Dubois, « Homesick » ; texte d’Astrid Chaffringeon, 25€.
15:34 Publié dans Culture, Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
Deborah de Robertis versus Bettina Rheims : le sang des femmes
Deborah de Robertis avec sa performance "Naked Pussy" (à la Galerie Xippas de Paris) a répondu aux "Naked War" (photographies des Femen) de Bettina Rheims. Elle a maculé de sang une Femen shootée par la créatrice. En guise de prolongation la performeuse a adressé une invitation (et non une provocation) à la photographe : « j’invite Bettina Rheims à me photographier et contrairement à la tradition, le modèle serait l’auteur de l’œuvre ». La performeuse se revendique avec raison aux travaux d’Ana Mendieta. Elle fut la première à dénoncer les violences faites aux femmes par les auto-maculations de sang dans ses photos et ses performances. Deborah de Robertis reprend son geste avec le sang des menstruations pour redonner aux femmes leur pulsion de vie et aux images une valeur politique. Il s’agit de provoquer une rupture dans l’idée d’impureté des liquides féminins.
La créatrice pousse Bettina Rheims dans ses retranchements et lui demande de se situer en tant qu’artiste, femme et sœur de lutte face à son travail. Nul besoin de reconnaissance égotique mais un appel à celle que la performeuse nomme « la seule artiste vivante sur laquelle je travaille ». Bettina Rheims (auteur récemment de « Détenues » - Gallimard) est a priori plus qu’une autre apte à comprendre ce travail. Le pouvoir d'humiliation que porterait le sang menstruel y est sublimé.
Certes Deborah de Robertis émet un doute quant aux avancées de la photographe : « Si Bettina Rheims a été visionnaire sur de nombreux sujets comme le genre et la transsexualité, les images présentées au Quai Branly ressemblent plus à des photos d’arrière-garde, dignes de la vieille presse féminine. (…° Quel est le statut de ces images? » écrit-elle. Implicitement l’artiste a déjà répondu à de telles images « léchées » par sa performance. Elle y a montré non une indécence humaine mais la décence féminine qui se refuse à demeurer la prétendue martyre d’elle-même. Il y a là la rupture avec l’imagerie, la psychologie traditionnelles, ce qui est pris pour le sordide et la soumission. Si bien que le dernier homme de l’histoire serait une femme libérée et non réprouvée. Attendons la réponse de la photographe.
Jean-Paul Gavard-Perret
12:06 Publié dans Culture, Femmes, Images, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0)
03/06/2018
Portraits baroques et bruts – Rebecca Campeau
Rebecca Campeau cherche les métamorphoses du portrait par l’éclosion d’une forme de fantasmagorie parfois monstrueuse mais le plus souvent baroque. Proche de l’art brut sa figuration est tamisée en bonne distance entre le rêve et le réel. Tout devient drôle ou inquiétant.
En primitive du futur la créatrice imagine qu’elle ne doit son salut qu’en sombrant dans une schizophrénique visuelle pour faire face à un monde lui-même mentalement et psychiquement affecté. Au leurre répond le simulacre. L’artiste coud, dessine, assemble, découpe, modèle, peint, surpique, empiète sur le passé.
Chaque modèle incarne au mieux le pire, le monstre grâce à l’alchimie de la création. Elle pousse la folie plus loin comme si le corps y est engagé de manière frontale. Tout est captivant, fantastique. L’univers de « Delicatessen » n’est jamais loin mais en bien plus onirique.
Jean-Paul Gavard-Perret
Rebacca Campeau, « Trognes & Creatures », Coll . « Séries d’artistes », Editions L’œil de la femme à barbe, 96 p., 2018.
14:06 Publié dans Femmes, Humour, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)