08/12/2019
Etel Adnan et l'appel du monde
Etel Adnan transforme le matériau autobiographique. Elle y parvient par le moyen d’une succession de moments disparates qui reconstituent un petit monde clos sur lui-même et que l'artiste rêve de quitter (ce qui sera fait en fin d'ouvrage). Sans toutefois construire à proprement parler une histoire qui aurait sonné aussi faux, le livre est avant tout un angle de pensée, un périmètre défini à l’intérieur de la profusion d’impressions d'une jeune fille avide d'espace de liberté.
Tout Etel Adnan est déjà là. Elle est dans le mouvement, hésite, continue, tire le côté droit du rideau, puis l’autre côté : pas pour regarder le mur mais l'horizon : Paris est son objectif. La littérature aussi. Pas question de simplement s’extasier sur la beauté des jardins du Liban leur qualité de la lumière, de distinguer les roses des jacinthes, d'établir un contact avec la montagne, remarquer sa couleur, regarder si les nuages se déplacent.
Rester au Liban ce serait voir la nuit qui tombe. Presque sans secours, sans défense. Bref il faut partir. Une force incompressible la porte loi des rues de Beyrouth. Rien ne sert attendre. Même une minute de plus. Sortir de l'insomnie et se remplir d’espace. Le texte rappelle que l'adolescence n'est qu'un corridor. Y stagner et le sujet ferait défaut. Etel Adan est entraînée dans la certitude de l’espace. Elle prépare son envol. Même la mère n'y peut rien. L'artiste quittera sa tanière. Car la beauté du monde est éblouissante. La mère lionne pourra pleurer sur le vide du ciel : des galaxies agissent en narcotiques sur sa fille.
Jean-Paul Gavard-Perret
Etel Adnan, "Grandir et devenir poète au Liban", L'Echoppe, Paris, 2019, 56 p.
09:25 Publié dans Femmes, Images, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)
07/12/2019
Melodie Mousset : extensions
Mélodie Mousset, "L'épluchée", Centre Culturel Suisse, Paris, décembre 2019 - février 2020.
Mélodie Mousset utilise son propre corps pour cartographier, indexer et narrer un "je" dont la narration implique le surgissement d'un "moi" mais aussi d'un "ça" car son corps paraît lui échapper tant il est en métamorphose lorsqu'elle cherche à en prendre possession. Afin de le capter elle utilise vidéos, sculptures, installations, performances ou réalité virtuelle.
Tout se passe dans un monde contemporain où la réalité numérique trace, enregistre et analyse les déplacement et désirs de ceux qui deviennent dit-elle des «citoyens transparents». L'univers qu'elle imagine est une surexposition : les corps s'y heurtent, difformes, estropiés, remplis d’organes.
Toute son oeuvre (dont la vidéo "Intra Aura" (2019) présentée pour la première fois au C.C.S. accompagnée d’éléments sculpturaux disposés dans l’espace d’exposition) est une manière d'échapper à la schizophrénie (peut-être héréditaire) de sa mère. L'art crée la désincarnation du corps en utilisant des matières détournées de leur fonction première afin que l'artiste se déconstruise elle-même dans le but de se retrouver. Elle a fait répliquer ses organes vitaux en 3D et en cire en les insérant dans l’histoire de la médecine et la tradition religieuse des ex-votos.
Elle s’engouffre parfois dans un réseau de caves souterraines à la recherche de vestiges antiques là où une stalagmite devient l'image minérale-organique d’un corps en construction. Elle a aussi créé un jeu vidéo interactif ("HanaHana") où un désert est peuplé de mains et ou chacun peu laisser sa marque de passage. Tout s’apparente à une expérience schizoïde de l'espace et du temps au moment où l'artiste devient primitive de son futur en une sur-voyance et une sur-vie.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:18 Publié dans Femmes, France, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
Des indifférences jamais notoires : Herb Ascherman
Herb Ascherman définit son travail selon 5 lois : "Maîtrise des outils et de la technique, rapport entre le photographe et le sujet. visibilité de celui-là pour le spectateur, vision unique et fort Impact Émotionnel". Et il les respecte parfaitement là où les inconnu(e)s ont parfois un regard, un sourire indéfinissables.
Faisant appel à des modèles le photographe crée avec eux des vision où, par transparence de la lumière, l'énigme s'épaissit avec un don incroyable de la composition. Ce qu'on a cru voir souvent prend une autre dimension. Dans l'atelier qui devient une chambre forte (ouverte à la lumière du jour) toute une vie disparate en ses approches se concentre. L'image de la nudité revient mais de manière décalée là où la compacité fait le jeu d'agitations que l'artiste momifie puisque toutes convulsions sont astucieusement maîtrisées.
Plutôt que de se soumettre aux faux-semblants le photographe - observateur à distance - monte des scènes de plusieurs traditions (lesbianisme, naturisme, photo de mariage, bondage, scène de western, etc.). Il existe toujours une ironie discrète dans ce jeu de l'amour et du hasard (programmé). En une heure et vingt photos en noir et blanc par séance, et faisant advenir ce qui se passe, Herb Ascherman crée des narrations. Tout ce qu'elles offrent passe par une simplicité totale qui n'exclut en rien le goût de la mises en scène et un sens du rite et de l'apparat.
Jean-Paul Gavard-Perret
Voir le site du photographe.
08:56 Publié dans Culture, Humour, Images | Lien permanent | Commentaires (0)