19/01/2021
Philippe Lipcare : propédeutique esthétique pour temps de crise
Philippe Lipcare, "Inframince et hyperlié", art&fiction, Lausanne, janvier 2021, CHF14.90
Qui aime l’art contemporain doit toujours se souvenir du soupir de Winnie dans Oh les beaux jours de Beckett : « Assez les images ». L’auteur dans « Peintre de l’effacement » (repris dans « Le Monde et le Pantalon ») en appelle à ce que Diderot écrivait déjà dans ses Salons : « l'image, dans mon imagination, n'est qu'une ombre passagère ». Afin qu’elle se réduise encore, tout un pan de l’art s’est voulu abstracteur de quintessence en quittant non seulement la figuration mais l’abstraction. L'objectif est de privilégier une sorte de fonte que rejoint aujourd’hui de tout jeunes artistes tels que le Suisse Frédéric Gabioud. L’image ne fonctionne plus comme un piège à regard : elle l’ouvre..
Et le livre de Lipcare enfonce le clou à travers divers exemples. Parfois probants parfois de l'ordre d'un superfétatoire qui nuit au propos de l'auteur. L'essai est pourtant une approche importante d'un art de l'infra-mince, du suspend et de l'introuvable qui définit l’art contemporain (comme parfois le monde) que l'on retrouve chez ceux que l'essayiste (Michael Rampa, Gerhard Richter, Stéphane Zaech, etc). S’agit-il d’éviter le rapport trop étroit de la peinture avec l'émotion ? Pas forcément. Le propos est plus profond. Retirer de l’image dans l’image n’est pas synonyme de disparition des affects mais devient la manière de les solliciter autrement. Défaite l'image la plus forte, c'est l'image de rien, de personne. Seule cette image "idéale" de l'extinction de toute visibilité permet d’atteindre ce que Schopenhauer demandait à l’art : « la suppression et l'anéantissement du monde » .
Jean-Paul Gavard-Perret
12:08 Publié dans Images, Lettres, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
18/01/2021
Feux secrets de Maud Chablais - du visage au portrait
Spécialisée dans la photographie documentaire et d'événements culturels, Maud Chablais travaille pour des entreprises privées, des médias et poursuit en parallèle des travaux personnels. Elle donne à ses portraits photographiques une puissance particulière. Ils permettent d’atteindre une vérité qui n'est pas d'apparence mais d'incorporation temporelle.
Dans leur diversité ils proposent par effet de série un déplacement de la fonction d’instantané, d’encoche figurative, de marque fixe pour retenir le temps en dépassant l’ordre de la mélancolie. L'artiste cristallise des instants tout en ne cessant d'en déplacer la tonalité physiologique et phénoménologique.
Le portrait n'engendre pas le monde de l'hypnose mais de la gestation. La féminité semble s’appuyer sur l’éclat du noir et blanc ou de la couleur. Peu à peu le visage transforme les épreuves en "tableaux". Amasseuse de visages, l’artiste est capable de souligner les gouffres sous la présence et de faire surgir des abîmes en lieu au sein de féeries. Mais l'inverse est vrai aussi. Et le voyeur passe de l'endroit où tout (croit-il) se laisse voir vers un espace où tout se perd. Soudain est offert un profil particulier au temps. Un temps pulsé et étanche qui se dégage du temps non pulsé.
Jean-Paul Gavard-Perret
https://maud-chablais.com/
14:02 Publié dans Femmes, Images, Médias, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
15/01/2021
Renée Levi : sororité en "ée"
Renée Levi, "Aimée", Villa du Parc, Annemasse, du 23 janvier au 2 mai 2021
La Villa du Parc retrouve Renée Levi. Le centre d’art contemporain à Annemasse avait en effet accueilli une proposition de l’artiste installée à Bâle dans l’exposition "Le syndrome de Bonnard" en 2014, dans laquelle elle avait repris une installation murale fluorescente de la collection du MAMCO (Genève). Le tout en sculpture et palissades qui traversaient l’espace domestique de la Villa du Parc. Son nouveau projet "Aimée", débute par une exposition à l’intérieur du centre d’art contemporain et se poursuivra à l’extérieur au printemps avec la réalisation d’un mural sur la façade nord du bâtiment. Vont se découvrir une fois de plus la radicalité picturale et l’acuité de la perception architecturale. Cette exposition est un hommage à la genevoise franco-suisse, qui, dès 1942, à l’âge de 17 ans, a aidé des enfants juifs et des résistant·e·s à passer illégalement la frontière depuis Annemasse pour se réfugier en Suisse.
Elle conçoit donc un projet sur mesure. Il s'appuie sur les variations de lumière naturelle et artificielle du lieu qui éclairent, suivant les heures, les murs et un ensemble de peintures existantes et nouvelles. Dans l’œuvre de Renée Levi, comme le précisait Christian Bernard ancien directeur du MAMCO, "le lieu concret, contingeant, y est tangentiellement mis à contribution". Renée Levi intègre les spécificités de l’espace pour renforcer les conditions de visibilité de son oeuvre. Les toiles exposées seront prolongées et relancées dans des muraux in situ plus ou moins perceptibles.
Parmi celles qui sont exposées, certaines ont été produites pour des situations spécifiques et sont remises en jeu à la Villa du Parc, tandis que d’autres, nouvelles, ont été pensées cette année à l’atelier par Renée Levi, qui met en tension et bouscule la ligne intuitive et fluo au spray qui par reprises et répéttitons en aplats segmentés, épais et géométriques, "contraignant le dessin initial et permettant de nouvelles compositions hybrides et dynamiques". La répétition du motif fait partie du processus pictural, physiquement de l’artiste et le déplacement de son geste premier vers l’abstraction géométrique est inédit et expérimental. Entre la toile et le mur, la compression et l’expansion, la ligne qui se fait lettre ("e") celle-ci devient surface qui subvertit la contrainte par le débordement. Toute une dialectique de jeu et d’introspection de sa peinture se déploie à la Villa du Parc au nom de la sororité.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:55 Publié dans Femmes, France, Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)