06/06/2019
Alexander Abaturov : le un et le multiple
Sans doute trop binaire ce film documentaire ambitieux tente un portrait impossible. A la base il existe une histoire vraie où s'entremêlent deux narrations "documentaires" : celle des soldats d'élites de l'armée russe et celle de la famille d'un de ses soldats mort dans des circonstances troubles (sans doute une vendetta), cousin disparu du cinéaste.
Existe un filmage à l'équerre de la vie militaire et patriotique avec scènes de dortoirs réussies. Tous les soldats sont semblables. Dans la famille c'est l'inverse : une sensation d'opacité demeure là où le travail de deuil reste impossible.
La bande son est impressionnante. Elle crée en grande partie l'émotion du film là où le réalisateur tente de se mettre dans la peau de son cousin. La puissance belliqueuse de la Russie imprègne le documentaire. Il navigue entre film de guerre et film intime, entre uniformisation et recherche d'une identité. La guerre devient pour les soldats une force de vie mais le film reste trop verrouillé pour emporter une totale adhésion. Seul le père reste le point de résistance du film : muet il n'est pas dupe.
Jean-Paul Gavard-Perret
Alexander Abaturov, "Le Fils".
09:22 Publié dans Culture, Images, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0)
05/06/2019
Les anti chambres de Nives Widauer
Nives Widauer, "Antichambre", Centre Culturel Suisse de Paris, juin 2019.
La Suissesse Nives Widauer pour sa première exposition en France présente des dessins, tableaux et des installations multimédias. Tout est pour elle un moyen de revisiter les standards de représentation depuis les débuts de l'histoire de l'art mais aussi de raviver certains objets ou symboles oubliés.
Existe un champ de méditations à travers chacune des diverses séries. Avec les aquarelles de "Possibilities" l'artiste se dégage de l'image stéréotypée de la femme poupée. Apparaissent des spectres contorsionnés et des silhouettes revêtues de petits vêtements faits main loin des standards de la mode. La série "Seven Human Things" réinterprète et transgresse les célèbres foulards Hermès soudain reliés aux sept pêchés capitaux.
Avec les vidéos présentées à Paris la plasticienne multiplie des superpositions d’images. Elles marquent entre autres des croisements entre le temps d’une vie humaine individuelle. Tout est ici drôle, impeccable et lié à l’idée de substitution selon laquelle un cheval de bois ne ressemble pas à un vrai cheval, il n’en est pas l’image, ce qui n’enlève rien à sa puissance hippique. C'est pourquoi ici, et comme pour un enfant, chaque objet présent devient une réalité telle qu’il se substitue à tout objet d'origine. Ce transfert est ici d'une rare facture.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:38 Publié dans Femmes, France, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
04/06/2019
Marie Velardi : nappes phréatiques
« Terre-Mer, Marie Velardi », Centre d'Art Contemporain d'Yverdon Les Bains, jusqu'au 21 juillet 2019
Marie Velardi poursuit sa recherche ici avec divers fragments minimalistes qui se juxtaposent en des ensembles plus larges et systémiques. Les périmètres se démultiplient astucieusement et selon un montage très particulier.
Celle qui s'intéresse aux territoires et géographies souterrains, donc invisibles mais qui possèdent un rapport direct et essentiel avec les conditions de vie à la surface de la terre crée de fait des utopies aquatiques à l'aquarelle. La différence de densité des pigments souligne les lieux où il existe le plus d’eau. Cette dernière produit des réactions différentielles de l'aquarelle au contact du papier.
Tout dans ce travail signifiant devient une poétique d'un "espace" particulier. Elle appelle à la vie par de telles piqûres de rappel là où le beau devient le prétexte à un combat essentiel. Echappant à la simple représentation la peinture réalise le passage de l'actuel au virtuel, du réel au possible à l'épreuve du temps et pour le retenir comme les nappes phréatiques retiennent l'eau.
Jean-Paul Gavard-Perret
11:37 Publié dans Femmes, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)