29/07/2014
Les sourdes dînent en silence - Léa Meier la bienfaisante
Lea Meier crée des femmes (entre autres) pour combler le vide intérieur de ceux (et celles) qui s’accrochent à leur visage. Certaines ressemblent à des mères veilleuses. L’artiste n’est pas de celles qui vomissent sur le bonheur des autres. Leur joie l’accompagne, sachant que même les illusions restent des plaisirs qu’il faut saisir. En conséquence du désastre des trous du regard qu’elle creuse remontent des songes et des cauchemars affichés de manière simple et subtile. Saisissant tout ce qui arrive et sachant que l’absence referme les tombes la Vaudoise prouve qu’un passage demeure possible. Reste l’ostinato des images et ce même si elles ne chantent pas forcément sur des harmonies légères. Le dessin est fragile : le visage féminin est pris entre armes et carabiniers. Pour autant insensiblement une douceur renaît. Lea Meier secoue le monde et l’exhibe par une poésie plastique qui entretient la braise existentielle en y ajoutant parfois une simple poignée de traits. Cela suffit à rappeler à ses semblables le peu qu’ils sont. Défiant la bise qui souffle dans les creux des destins l’artiste croît malgré tout qu’il n’est pas de limite au dessin fût-il le plus simple. Néanmoins si elle existe elle peut être franchie du côté de l’Enfer comme du Paradis. Pour le prouver l’artiste aligne dans sa « nef des fous » bien des dériveurs et des rêveuses. On peut penser en contemplant ses œuvres qu’un champ de bataille peut se transformer en pré aux moniales et que la pâleur d'un lit vide se fend d'une cohorte de coquelicots. C’est peu diront certains. Mais on pourrait se contenter de moins.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:17 Publié dans Femmes, Genève, Images | Lien permanent | Commentaires (5)
24/07/2014
Catherine Liechti : vertiges des images
Dans l’œuvre du Catherine Liechti s’émettent la volonté d'un achèvement impossible et la puissance de contrecarrer la disparition d’une existence profonde. Générée par une peinture au lyrisme discret qui à la fois détruit les apparences (par l’aquarelle) et offre un certain effet miroir expressionniste par le sous verre une germination prolifère par l’accumulation d’images sourdes. Peu importe que l'artiste donne ou non à ces objets le sens d'une liaison, d'une assise. Il s’agit surtout de créer par l’anodin un paradoxal changement de décor entre le cristal et la fumée, l'ordre et le désordre.
Le mot “ risque ” se glisse discrètement en de telles images. Elles deviennent le lieu naturel d’exploration du silence, de l’émotion, du recueillement. Chaque élément ou chaque ensemble propose une muraille d’énigmes volontairement soustraits au monde tel qu’il est. L’intime s’infuse sans le moindre voyeurisme ou exhibition. Contre la confusion des apparences l'artiste offre des structures selon des approches qui illustrent la sensation d'étrangeté et d'approximation d’un certain vide bouddhiste. L’œuvre devient l'injonction esthétique la plus éloignée des arpèges de crooners plastiques qui bradent et soldent la peinture. L'artiste en balaie la poussière par ses ellipses et laps. Son univers devient un partout et un nulle part. Peu à peu la vie exulte au milieu des impossibles et au sein d'une sorte de vertige.
Jean-Paul Gavard-Perret
11:17 Publié dans Femmes, Genève, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
15/07/2014
Livia Johann et l’imaginaire de reconstruction
Livia Johann construit des objets-images sous forme de schémas, de structures afin d'éviter l’entrée en jeu d’un signifiant-maître quelconque. « Nulles » au regard du système signifiant l’œuvre propose une forme « d’image à côté de l’image ». Le travail de celle qui est désormais genevoise est de l’ordre d’un maniement calculé. Il n’est pas celui de tout le monde ni celui ce dont tout le monde jouit. L'image devient métaphorique. Elle remanie les rapports au monde à travers trois termes vitaux : le réel, le désir et la jouissance. Ce que l’artiste assemble se soustrait à la signifiance habituelle, à sa littéralité en créant une approximation d'un chaînon manquant.
A sa manière Livia Johann élargit le spectre de l’assemblage en une succession de blocs ou de traits pour cadrer une béance. De la volontaire "défaillance" de l'objet-art surgit une autre présence : celle d’une production de la perte et du « manque qui meut » (Patrice Chéreau). Les deux amènent à découvrir par renversement ou assemblages la paradoxale stabilité d'un inachèvement. L’objet ou plutôt son matériau est à chaque nouvelle étape le seul réel à partir duquel peut s’entamer le processus artistique. Il permet selon la formule de Lacan de « se mettre dans les conséquences de la perte ». Il produit des espaces interstitiels alimentés d’un sang qui ne chauffe plus. L’artiste fait donc partie de ces créateurs qui - après Walker - refuse la totalisation de l’image et décolle l’imaginaire d’une simple reproduction. Au regardeur de reconstruire le monde avec ou sans risque de tomber dans la névrose de sa propre division. Il peut néanmoins retrouver là une unité perdue ou volée par les images habituelles qui jouent à notre insu au nom de ce qui dans leur cas n'est qu'une impasse de la jouissance face à laquelle la jeune genevoise s’insurge.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:29 Publié dans Femmes, Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)