03/09/2014
Invétérées vertébrées : histoires d'os de Fabienne Radi
Les chroniques de Fabienne Radi : « Peindre des colonnes vertébrales », automne 2014, MAMCO, Genève.
Lire les « leçons » de sémiologie de Fabienne Radi est un pur délice. Elles restent les parfaits contraires de celles de Barthes. Arguant de plaisir du texte ce dernier renvoya ses propres exégèses au rang de purges. Cultivant lors de ses études un certain ascétisme Fabienne a néanmoins lu ces pensums. Mais ce fut comme prendre un taxi pour rejoindre le centre ville de ses propres préoccupations. Entre autres la place de la femme dans l’art et l’idéologie. En son nouveau samizdat l’iconoclaste n'y va pas par le dos de la cuillère. Elle préfère celui d’égéries dont elle est le fleuron. « La féminité c’est du boulot » écrit-elle. Et que ça se passait jusqu’à des temps récents au niveau du dos n’était pas que la ciné-cure de soap-operas (qu’une Simone eut beau voir sans un certain recul avant de sacrifier à la prise photographique -entre autres - de son amant américain).
Le plus profond dans l’image de nu étant la peau et ses pilosités la Genevoise rappelle comment l’histoire de l’art a provoqué des torsions du buste afin de cacher sans effet de voile ce qu’on ne saurait voir. Les séries américaines d’ailleurs jouent toujours de cette figure de style qui pallie parfois à l’absence de remontée de draps. Et sans oublier en des temps peu éloignés le fameux plan du « Mépris » de Godard.
Pour calfeutrer le pubis, l’évitement pas surrection du dos offre une colonne d’air aux fantasmes. Et Fabienne Radi de rappeler que la féminité qui « était dans les nattes est partie dans les colonnes vertébrales ». Il y a là un certain suivi physique sauf « qu’on ne tresse pas les colonnes vertébrales et qu’il n’y a pas de hernie capillaire »… Celles-ci rappellent forcément la nudité mais de manière obviée. Pour le souligner l’œuvre de Nina Childress vient judicieusement illustrer la thèse : hommes et femmes y ont bon et beau dos et semblent sortis des « nudies » films hypocrites tournés à la va vite dans des camps de nudistes comme succès damnés afin de biaiser la censure des années 50-60 sous couverture (si l'on peut dire) de reportages naturalistes propres à ravir les frustrés.
Les colonnes vertébrales gardent en effet l’immense mérite d’être complétées vers le bas par des fesses rebondies et parfois siliconées afin d’accentuer leurs vallées et promontoires. Reprenant l’histoire du corps dénudé tel qu’il fut décliné dans les arts populaires aux USA Fabienne Radi souligne l'astuce annonciatrice des prémisses de la contre-culture. L’auteure prouve que ce qu’elle nomme le « cucul la praline » grince tout en attendrissant ou cultivant le fantasme. Qu’importe si la femme affiche un sourire un peu forcé : le mal est fait et le mâle refait. Les vertèbres créent une colonne qui n’a rien de pénitentiaire. Sur la chaîne osseuse le regard pointe : « Voilà en tous cas un dos qui raconte pas mal d’histoires » dit Fabienne Radi : qu’ajouter de plus ?
Jean-Paul Gavard-Perret
09:21 Publié dans Culture, Femmes, Genève, Humour, Images | Lien permanent | Commentaires (0)
02/09/2014
Celle qui aime regarder la mer : entretien avec Iseult Labote
Avec Iseult Labote toutes les matières photographiée ou scénarisées (vidéos, installa tions) se muent en opalescences plus ou moins abstraites et renvoient à ce qui pour Duchamp relevait de "l'infra-mince". La Genevoise produit des intensités par soustraction. Les objets sont voués à la perte mais prennent une force expressive qui leur offre un devenir. L'inerte rentre donc dans un circuit mouvant où la déperdition se transmue en tacite recommencement.
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? LA VIE !
Que sont devenus vos rêves d’enfant ? JE LES REALISE LES UNS APRES LES AUTRES
A quoi avez-vous renoncé ? A RIEN, J'AVANCE CONFIANTE DANS LA VIE ET MES PROJETS
D’où venez-vous ? D'UNE BELLE HISTOIRE D'AMOUR ENTRE UN GREC ET UNE SUISSESSE
Qu'avez-vous reçu en dot ? L'AMOUR, LA CONFIANCE, LA LIBERTE DE PENSER, LE SENS DE LA BEAUTE
Qu'avez vous dû "plaquer" pour votre travail ? LE SOMMEIL :-)
Un petit plaisir - quotidien ou non ? REGARDER LA MER, ME PERDRE DANS SON IMMENSITE
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ? MON TRAVAIL
Quelle fut l'image première qui esthétiquement vous interpela ? LES FRESQUES DE FRA ANGELICO DANS LE COUVENT SAN MARCO A FLORENCE
Et votre première lecture ? SIDDHARTA DE HERMAN HESSE
Comment pourriez-vous définir votre travail sur la saisie particulière du réel que vous pratiquez ? L'OBJET NE RETROUVE PLUS SON SENS PREMIER ET LA REALITE EST DEMATERIALISEE
Quelles musiques écoutez-vous ? LE SILENCE
Quel est le livre que vous aimez relire ? EN CE MOMENT : LA PRATIQUE DE L'ART DE ANTONI TAPIES
Quel film vous fait pleurer ? "L'ENFANT" DES FRERES DARDENNE
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ? UNE PERSONNE PRIVILEGIEE
A qui n'avez-vous jamais osé écrire ? A CARL ANDRE
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ? ATHENES
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ? CARL ANDRE, DONALD JUDD, SOL LEWITT, FERNAND LEGER, ET L'ARTE POVERA, PIERO MANZONI
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ? LES MOYENS DE REALISER TOUS MES PROJETS ARTISTIQUES
Que défendez-vous ? LES DROITS DE L'HOMME, LE RESPECT, LA JUSTICE, LA LIBERTE
Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"? DE L'INCOMPREHENSION, DE LA SOLITUDE
Que pensez-vous de celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?" OUI A L'HUMOUR, A LA DERISION
Quelle question ai-je oublié de vous poser ? POURQUOI LE MONDE EST-IL FAIT DE TANT DE SOUFFRANCES ?
Entretien réalisé par Jean-Paul Gavard-Perret, septembre 2014.
08:50 Publié dans Femmes, Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
31/08/2014
Poétique de Christian Bernard ou le "porteur de Christ en bandoulière"
Christian Bernard, « Nous sommes seuls », Walden n press – Trémas, 2014-08-31
Le directeur du Mamco est un des poètes les plus discrets qui soient. Habile à « bâtir un théâtre dans sa paume » par des sonnets qui sont « autant de départs de feu » (comme le prouve «Petite Forme », éditions Sitaudis, 2012) le poète trouve là un moyen de d’écrire forcément court faute de temps. L’œuvre restera par ce fait inachevée, inachevable : ce qui n’enlève rien à sa force de capillarité. Nourri des ellipses géniales d’un La Fontaine comme du lyrisme de Pound, Cummings mais aussi éclairé par la poésie latine comme de ceux qui rouvrent la langue d’aujourd’hui (Philippe Back par exemple) l’auteur se fait « colporteur de crécelles ». Il publie principalement ses textes dans un dispositif particulier : celui de « Walden n press » dû au graphisme de Ho-Sook Hang. « Portant le Christ en bandoulière » par son prénom le poète ne confond pas poésie et spiritualité. Il préfère la généalogie de son nom dont l’étymologie ramène à « dur comme l’ours ». C’est dans cette acception primitive que l’écriture et l’imaginaire de l’auteur prennent leur source. L’entretien (avec Sylvain Thévoz) le prouve. Chercheur de transparences Christian Bernard y restitue - sans flagorner le moins du monde – bien des traces de l’énigme du monde. Ce dernier rayonne soudain d’une lumière d'une grande savane que le poète fait vibrer avec humour et un certain sens du merveilleux.
(les citations sont tirées du livre du poète)
Jean Paul Gavard-Perret
19:39 Publié dans France, Genève, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)