28/09/2014
Thierry et Yves Bourquin voyageurs à plus ou moins long cours
Thierry et Yves, Bourquin, « La tropézienne, la bauge et le ciste blanc », Editions Nomades, Genève, 66 exemplaires, 90 Euros.
La poésie des deux « cousins presque jumeaux » est fascinante car elle fonctionne à l'obsession comme à l’impulsion du moment. Drôle et complexe, expérience intérieure mais aussi du voyage, une sorte de communication fraternelle s’instaure entre les deux auteurs. Ils se renvoient la balle de quelques mots : chaque fois sortant de leurs gonds ceux-ci créent des chausse-trappes. Ils alimentent un double parcours entre orient et occident sous forme de faux haïkus et en courants alternatifs afin de porter vers une nouvelle écriture de soi et du monde. Un sens burlesque et «exotique» d’expériences aventureuses fomente une poésie du quotidien où s’instruisent divers rapports. Mêlant l’image aux mots des associations marient bien des contraires. Les Bourquin les font jouer comme des chiens de faïence dans un jeu de quilles et d’appels très particulier. L’écriture transfère le littéral en pensée poétique. Elle n'hésite pas à traquer des raisons secrètes et des cohérences défaites qu'il suffit de dégager en remarquant que s'il existe de l'inconnu ou de l'intouchable en ce texte à quatre mains il est le fait d’un dieu païen de la langue comme de la fascination de lieux proches ou lointains. Le lecteur est donc introduit en un cercle à double centre par où tout passe et tout s’émiette.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:14 Publié dans Genève, Images, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)
25/09/2014
Heike Schildhauer : éboulis de l’inexplicable
De chaque blessure Heike Schildhauer fait jaillir une lumière étroite. De partout formes et couleurs lavent les nuits de cendres. Le blanc, le rouge font surface dans un présent presque impossible. Chaque œuvre rameute des rencontres toujours à venir et qui ont déjà eu lieu. Restent des histoires de labyrinthe où vagabonder à l’aune de l’inépuisable. L'art ressemble au silence même si l’artiste n'ignore rien des bruits du monde. Mais grâce à elle l’inquiétude qu'ils provoquent est exsangue. Ne reste que des sentinelles au dessus du vide pour au besoin y glisser afin d’« être skieur au fond d’un puits » (Henri Michaux) sans Dieu ni maître nageur. Le tout par dissolution, osmose, capillarité, humour et émotion entre candeur et intransigeance. Surgit le mystère, l’étrange où l’énergie circule sans séparer du monde par impacts enfantins et graves. Casse-noisettes en bois, des pommes de pin en porcelaine, chiens en ballons gonflables augmentent un trouble que l’artiste module par le titre même d’une de ses anciennes expositions “Don’t worry” là où la créatrice prenait comme clé une phrase de Louise Bourgeois : “Le travail artistique est une restauration”.
Les images d'Heike Schlidhauer ne sont ni des ciels, ni des songes. Elles sont poreuses. Il y a en elles du maïs et des perles. Lieuses de murmures, de gravités et parfois de sourire leurs éboulis, créent des tracés d’insaisissables accords. Le lointain devient le quotidien pour éprouver le parfum de fenouil d'un désir exilé. Floconneuses mais nettes, mi mystérieuses, mi secrètes elles annoncent qu'un corps est venu. Le voici à la lumière afin de révéler l'obscur noyau d'un secret dont on ne saura rien sinon quelques indices où les couleurs boivent la lumière d'obscur pour arracher au temps sa nature et sa peau.
Jean-Paul Gavard-Perret
Expositions à venir : Chateau Militaire et Musée Alexis Morel, Morges. Les deux du 9 octobre au 30 novembre 2014.
11:15 Publié dans Femmes, Genève, Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
23/09/2014
Véronique Desclouds : toute la beauté du monde
L’œuvre de Véronique Desclouds s’inscrit dans la parfaite opposition de ce qu’écrivait Madame de Sévigné : « Dans le Morvan, pas de bon vent, pas de bonnes gens ». La Genevoise pêche jusque dans les étangs les plus noirs et sombres la force profonde et la beauté du monde et des gens. Elle remue le portrait et le paysage avec intelligence, délicatesse et attention. Quelque chose sort toujours de l’ombre et rutile.
De longues berges écartées de brune, des montagnes burinées par le murissement trouvent un mouvement inattendu, de vieux visages inventent une douce complicité en soulevant l’incandescence où passe la vie. Chaque photo est un trésor dont Véronique Desclouds nous fait complice. Le regard est submergé de présence poétique. Les chaînes de montagne descendent comme des bijoux, les visages deviennent intenses sans chercher à plaire pour autant. Tout glisse de l’évidence au secret. Le filet noir à fines mailles cueille la « proie » comme l’écumette à la surface des sucres. L’artiste offre par effet de paradoxale évidence l’inconnu.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:40 Publié dans Femmes, Genève, Images, Monde | Lien permanent | Commentaires (0)