23/04/2015
Pierre Schwerzmann le minimaliste intégral
Pierre Schwerzmann, Boabooks, Genève, CHF 72.
Pierre Schwerzmann ne croit pas à la spontanéité du geste. Il travaille beaucoup, détruit sa facilité. De toute figuration il ne retient que l’essentiel. A savoir juste ce qui empêche l’image de basculer dans le néant. Demeure dans ses peintures et ses photographies les traces et les lignes essentielles qui échappent à la narration au profit d’une émotion dégagée de tout pathos. Les effets d’ellipses iconographiques provoquent une rythmique puissante au sein d’expérimentations de limites. La fixité est trompeuse. Tout peut toujours se détruire pour être recomposé de reprises en reprises, de montages en montages au minimalisme dont la rigueur s’accorde à un absolu plastique.
Le dépouillement, le monochrome sous leur austérité inscrivent une lumière étrange. La surface apaise mais en même temps elle remue. Elle instaure un désir de regard et fait éprouver des sensations contradictoires au sein de pulsations et de mécaniques d'oppression et de jubilation de la langue plastique en sa musique du silence. Des suites de lignes jouent de l'insistance et de la délicatesse. Les formes ferment et ouvrent avec, chez leur créateur, l’esprit d'analyse et de synthèse. C'est la marque d'une lucidité qui ne se satisfait pas d’elle-même et laisse libre court à la poésie. Plus Schwerzmann prend de risques plus son art devient la manière d’être au milieu de la nuit pour signifier le jour.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:39 Publié dans Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
21/04/2015
De l’ombre à la lumière et retour : Yves Berger
Yves Berger : « Entrevoir » (Space Station, Lausanne), « Mes deux béquilles » (Éditions Art & Fiction, Lausanne)
Caché dans son Faucigny natal Yves Berger (fils du poète John Berger) poursuit un travail particulier. Sorti de l’école des Beaux-Arts de Genève, il a reçu le prix Stravinsky de la peinture en 2001. Depuis, il a exposé en Europe et en Amérique du nord et a publié entre autres « Mes deux béquilles » (Éditions Art & Fiction) et a codirigé avec John Berger « Le blaireau et le roi » (Éditions Héros-Limite, Genève). Sa recherche passe par l’épreuve du corps : il s’agit autant de le faire figurer que de l’effacer en un jeu d’illusion où la distance peut entrainer une étrange proximité. L’huile ou la caséine crée une lumière particulière. Tout joue entre présence et dilution en un théâtre dont les ombres à peine colorées sont les êtres disparus.
Chaque toile propose une diaphanéité. L’état de matière n’est jamais loin du néant. Les silhouettes deviennent des résurgences. Ouvrant le désordre dans l’ordre du cosmos, elles ont partie liée avec l’absence et retournent à un état voisin des "dissolving views" de la préhistoire du cinéma. L'objectif paraît évident : voir ce n'est plus percevoir mais "perdre voir". Yves Berger pousse donc toujours plus loin le risque au centre de l'Imaginaire comme si l’image apparaissait tel un voile qu'il faut déchirer afin d'atteindre les choses (ou le néant) qui se cachent derrière. Ainsi au cœur même de l’effacement quelque chose suit son cours. « entre le meilleur moindre et le meilleur pire, l’inannulable moindre » (Beckett) devient peinture et hiatus.
Jean-Paul Gavard-Perret
11:53 Publié dans France, Genève, Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
13/04/2015
Délocalisation du paysage : Pascal Lombard
Pascal Lombard, Galerie Ligne Treize, 29 rue Ancienne, Carouge- Genève, 18 avril – 22 mai 2015.
Les vrais peintres « du » paysage ne sont jamais des artistes « de » paysage. Pascal Lombard le prouve. Ses paysages sont plus proches de ceux de Giotto que de tout ce que le genre a décliner de facture pompeuse et pompier. Comme Philippe Fretz l’artiste crée un nouvel état et une nouvelle esthétique du paysage. Dans ce but Lombard utilise la technique ancienne de la tempera. Mais cela fait de lui le plus contemporain des artistes. Son rapport physique avec la matière et les pigments est essentiel. La terre de Sienne, le bleu de Mars ont leur rôle à jouer dans une alchimie secrète. Elle est au service d’une délocalisation des lieux représentés. L’objectif n’est pas un relevé géographique mais la création d’un nouveau topos. Le pays représenté tient d’un état naissant de la peinture.
Lombard prouve qu’en art le paysage n’existe que s’il retourne la vue, interroge le regard en fissurant énigmatiquement les certitudes acquises de la contemplation fétichiste ou de la possession carnassière des apparences. Le peintre sait que son « éthique » reste la sélection d'un mode de regard. Elle passe essentiellement par la matière et les techniques. On est plus comme chez Poussin, Elsheimer, Vernet ou Wolf dans les bizarreries de la nature mais dans un autre royaume plus primitif et essentiel. Le paysage nous regarde du fond des âges. Et ce parce que Lombard saisit plus la « paysagéïté » (ce que Beckett pour la peinture en générale nommait "la choséité") que le paysage. Existe une extraterritorialité : le paysage mute de la simple représentation vers la « re-présentation ». Entre les deux le pas est immense. Elle différencie le travail du faiseur et celui du créateur.
Jean-Paul Gavard-Perret
14:25 Publié dans Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)