13/04/2015
Délocalisation du paysage : Pascal Lombard
Pascal Lombard, Galerie Ligne Treize, 29 rue Ancienne, Carouge- Genève, 18 avril – 22 mai 2015.
Les vrais peintres « du » paysage ne sont jamais des artistes « de » paysage. Pascal Lombard le prouve. Ses paysages sont plus proches de ceux de Giotto que de tout ce que le genre a décliner de facture pompeuse et pompier. Comme Philippe Fretz l’artiste crée un nouvel état et une nouvelle esthétique du paysage. Dans ce but Lombard utilise la technique ancienne de la tempera. Mais cela fait de lui le plus contemporain des artistes. Son rapport physique avec la matière et les pigments est essentiel. La terre de Sienne, le bleu de Mars ont leur rôle à jouer dans une alchimie secrète. Elle est au service d’une délocalisation des lieux représentés. L’objectif n’est pas un relevé géographique mais la création d’un nouveau topos. Le pays représenté tient d’un état naissant de la peinture.
Lombard prouve qu’en art le paysage n’existe que s’il retourne la vue, interroge le regard en fissurant énigmatiquement les certitudes acquises de la contemplation fétichiste ou de la possession carnassière des apparences. Le peintre sait que son « éthique » reste la sélection d'un mode de regard. Elle passe essentiellement par la matière et les techniques. On est plus comme chez Poussin, Elsheimer, Vernet ou Wolf dans les bizarreries de la nature mais dans un autre royaume plus primitif et essentiel. Le paysage nous regarde du fond des âges. Et ce parce que Lombard saisit plus la « paysagéïté » (ce que Beckett pour la peinture en générale nommait "la choséité") que le paysage. Existe une extraterritorialité : le paysage mute de la simple représentation vers la « re-présentation ». Entre les deux le pas est immense. Elle différencie le travail du faiseur et celui du créateur.
Jean-Paul Gavard-Perret
14:25 Publié dans Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
11/04/2015
L'âme des objets inanimés : Raquel Dias
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Raquel Dias, Hard Hat, Genève, 28 mai – 31 juillet 2015
Les objets "montés" et assemblés par Raquel Diaz sont à la fois des flacons et leur ivresse. Pas forcément celle que le voyeur espère. Mais cela n'est que mieux. A l’extase charnelle font place des nuits blanches aux voluptés solitaires. Simples mais étranges de tels objets proposent leur propre paradis terrestre. Son accès reste plus compliqué qu'il n'y paraît. L'œuvre de Raquel Dias demande un regard attentif, une intelligence secrète. La séduction devient altière par divers alignements. Chaque objet est idole provisoire à l'insolente pudeur. De Mélusine l'artiste devient au besoin Blanche-Neige. Elle lévite indifférente aux modes esthétiques. D'où la poésie particulière d'une œuvre subtile et poétique. L'œil remonte à la source d'un mystère. Il n'appartient plus à la raison de dissiper.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:26 Publié dans Genève, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
09/04/2015
Cyril Torrent : Eve et les nigauds
Dans les célébrations du nu selon Cyril Torrent la femme devient un bateau ivre larguant ses amarres. Le photographe répond aux injonctions implicites de ses égéries : « J'aimerai qu'on m'apprenne à me servir de moi-même, jusque là on m'a appris des choses qui ne correspondaient à rien en moi. Je voudrais sentir une inexorable rupture ». Afin de les satisfaire l’artiste les transforme en miroirs d'un même gouffre. Il les guide pour les faire emprunter un chemin d'effraction, d’abandon. Le Genevois les met en mouvement dans des prises qui les arrachent à la fixation du portrait de nu classique. A corps découvert une chorégraphie gagne en charme. La femme ne possède plus rien qu’elle : elle a ce qu’elle est et trouve une poésie faite de la tension de ses lignes et formes. En noir et blanc chaque tirage est à brûle-pourpoint. Il fait du corps une grande ourse comme la petite : les deux restent insensibles au passage du temps, elles le piègent, mais ce sont bien les voyeurs qui subissent leur fonction d’attrapes nigauds. Vues sans nous voir elles gardent l’indifférence splendide des statues.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:59 Publié dans Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)