04/09/2015
Rachel Labastie : avec le temps
A travers ses mises en espace de ses œuvres ambitieuses, profondes, habitées et dans leur radicalité, Rachal Labastie crée un appel du temps. Mais sans vision passéiste. Les objets exhumés sont moins des reliques que des « opérateurs » capables de pousser à la réflexion. Dans leur théâtre de majesté coulisse par fragments (ailes, roues de charrettes par exemple) de quoi toiser le regardeur. Installations et sculptures n’appellent pas plus la caresse, qu’elles ne caressent les fantasmes. Chaque œuvre provoque des interrogations par les histoires qu’elle rameute tout en signalant le constat du déclin de monde et de l’art lorsqu’il cultive la mollesse.
Les travaux de Rachel Labastie ont donc beau être des fantômes : dans leur fixité ils secouent le regard. L’artiste ne cultive pas le charme mais des visions dont il faut subir l’impact. Il convient de se laisser emporter en une sensation de vertige pour la pure émergence. Elle est proposée non pour supporter l’existence mais pour la soulever dans son interrogation sur la notion de temps. Les vestiges du passé suggèrent une critique de notre époque malade de ses doutes et de ses peurs. De telles œuvres ne servent pas à « faire joli ». Elles tapissent l’espace de leur présence, de leur empreinte afin de créer l’arête du seuil entre passé et présent et contre l’oubli.
Jean-Paul Gavard-Perret
L’artiste est représentée en France par la Galerie Odile Ouizeman (Paris) et en Suisse par la Galerie Analix Forever (Genève).
10:58 Publié dans Femmes, Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
03/09/2015
Michel Frossard et l’intime
Michel Frossard sait que l’intimité ne se « donne » pas facilement. Mais chacune de ses photographies reste à la recherche d’une sidération afin de créer un émoi esthétique particulier. Le corps de la femme n’y est pas pour rien. Le noir et blanc ajoute son intensité garde l’anxiété du chemin retiré lorsque les êtres s’abandonnent, perdus peut-être, éperdus sûrement. Il semble s’attarder sur la coulée du corps pour en retenir le cours non sans un certain sens du rite. Son regard rend jusqu’aux les angles morts la possibilité d’être vivants. La femme y est soyeuse et parfois sauvageonne. Elle se dit frêle mais elle nourrit le feu, cadastre sa limite. Qu’importe si l’ouest part avec le soleil, elle reste l’objet du désir de la lumière qui s’en fait le voyeur. Là où tout est écart de conduite : l’aplomb ou la contre-plongée retient l’essentiel d’un mystère entrevu.
Parfois le Genevois le segmente mais il reste au plus près du réel. Le visage du modèle demeure caché si bien qu’il n’a pas besoin de baisser les yeux. Chaque prise appartient à l’ordre de la caresse, de l’aporie et de l’impudeur insidieuse. L’image dit ce que les mots ne peuvent montrer. Dans ce but l’artiste rappelle à ses modèles ce que Matta demandait aux siens : non être mais « se désêtre » afin de s’abolir dans la paix et le risque du total abandon. Aspirées par les contradictions d’ombres et de lumière, les effets de jours noirs et de nuits blanches, les corps semblent entrer dans un dérive programmée et sourde. Chaque femme même plaquée au sol est soulevée par des hélices de lumière au sein de nappes de cendres.
Jean-Paul Gavard-Perret
07:28 Publié dans Genève, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
02/09/2015
Quêtes indiciaires de Denis Savary le ménestrel visuel
Denis Savary,Séquence été 2015 - Cycle Des histoires sans finJusqu'au 20 septembre 2015, Mamco, Genève.
Jusque dans sa réflexion sur le concept d’exposition Denis Savary multiplie les jeux d’emboîtements d’objets gigognes qui ne coïncident pas forcément. Pour chaque projet ou invitation l’artiste invente des narrations par images (les siennes ou celles qu’il emprunte) et mots clés. S’instaure un labyrinthe optique jouant de rapprochements et de coïncidences défaites ou non. Dans "meilleurs vœux / d'après" son travail était la réponse à l’invitation du musée Jenisch de Vevey. Plutôt que de présenter ses œuvres de façon classique, l’artiste remonta l'histoire de l'institution pour y puiser des anecdotes passées et réinvestir tous les espaces de ses propositions poétiques en relation avec les collections. Au Jeu de Paume à Paris il a poussé encore plus loin la réflexion sur la question de l’auteur, de l'hommage, de la filiation, de la lecture et - bien sûr - du détournement. Ce dernier est essentiel : pour preuve une de ses plus célèbres œuvres. La « poupée » qu'il a fait réaliser d'après celle d'Oskar Kokoschka, créée elle-même d'après Félix Vallotton et « montée » dans une installation conçue avec Jean Christophe Huguenin et nommée "Cotillons".
Les interactions restent majeures dans le travail du Vaudois qui se veut conteur et ménestrel optique du XXIème siècle, passeur de légendes. Son imaginaire s’arrime à celui des autres pour la création d’œuvres hirsutes. L’idée de « Stromboli » lui serait venue d’un tableau de Modigliani. Elle devint une « sculpture » à l’échelle du corps moulé dans un granulat de caoutchouc mélangé avec de la résine. Au Mamco la pièce, posée sur une table, devient plus un paysage vallonné qu’un corps. Et tout l’esprit de l’artiste est là. Il a décliné une série de sœurettes de la grande « Stromboli ». Chaque fois il trouve un moyen de passer de la solitude du dessin au travail avec divers types d’artisans propres à donner existence à ses projets « farcesques » où le réel bascule. Passant à la vidéo, il feint d’en ébaucher aucune mise en scène : les plans sont autant accidentels que paraissant gorgés de références et deviennent des temps de latence, parfois nonsensiques. Godard n’est jamais loin. Reste la nappe cendrée des choses, le pouvoir de l'air. Ses coloris, sa poussière, ses hantises. S’y perdre est à la fois un plaisir et une angoisse. Il faut accepter le risque de ce Chaos car en une telle initiation toujours le merveilleux jaillit.
Jean-Paul Gavard-Perret
11:05 Publié dans Genève, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)