05/11/2019
Le radicalisme de Sarah Kaliski
L'artiste belge Sarah Kaliski a connu bien des hauts et des bas dans sa vie marquée dès l'origine par la guerre et la déportation de son père à Auschwitz. Il y eut encore bien d'autres blessures intimes. A partir de là elle a developpé un art particulier qui rappelle parfois celui de Wolinski. Comme lui, mais en plus profond et plus tragique, elle pourfend bien des ordres en cultivant envers l'homme une double présence : celui d'un totem-père-puissance-pouvoir mais celui aussi d'objet ou sujet d'impiété dont il faut venir parfois à bout des assauts de la barbarie individuelle ou collective par la propre barbarie de son langage plastique fait de silhouettes en actes et commentées.
Face au mâle qui attife de ses hardes la femme, celle-ci lui rappelle, par ses larmes d'encre, que ses démons elle les exècre. Elle donne à voir autant son propre amour que l’obscénité des âmes qu'elle greffe parfois avec le corps à un abdomen couvert de poils afin que, de chien ou bouc, l'homme revienne à lui-même tant il oublie le sexe des femmes au profit du sien, pain long ou énième version de celui - statufié - de Victor Noir au cimetière du Père Lachaise.
La force des perdant(e)s est là, en transit parfois - à la fin de sa vie - sur des supports humbles (barquettes alimentaires, boîtes de sardines, sous-bocks, feuilles d’arbres, boîtes de camembert, cailloux, écorces d’avocat). Comme chez Kiki Smith, Louise Bourgeois ou Nancy Spero la femme se rebiffe là où les inadvertances ou plutôt les exubérances du coeur et ses couleurs jaillissent de manière viscérale et intense. Rarement les pulsations de la vie ont été dessinées d'une telle façon. C'est aussi clair que mystérieux là où le regardeur ne peut que ressortir abasourdi est sonné.
Jean-Paul Gavard-Perret
Sarah Kaliski, Exposition, Loeve & Co, Paris du 7 au 21 novembre 2019
16:53 Publié dans Culture, Femmes, France, Images, Résistance, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
Tania Franco Klein : les solitaires absolues
Tania Franco Klein mêle les éléments de sa psyché personnelle au quotidien d'une société (américaine) qu'elle revisite loin d'un brouet dispendieux qui ramènerait l'image à de l'autofiction. Se pénètre un monde de solitude absolue dans un monde où en théorie tout est fait pour le plaisir.
En conséquence l’érotisme se transforme en un ésotérisme fractal. Il donne à l’intimité une face nouvelle. A travers elle la photographe ouvre des interrogations là où elle feint d’offrir que des états de constatation. L'artiste scénarise des instants qui ramène à un présent collectif et comme privé d'avenir dans lequel la question de l’identité reste une énigme.
Ne sortant jamais du contexte de la quotidienneté le livre dans sa propension onirique devient une spéculation. Il permet de retrouver l’être profond voué à une attente perpétuelle. Se saisit ce qui se dérobe, se suspend voire se détruit là où n'existe même plus d’appel à l’autre comme complément de l'identité.
Jean-Paul Gavard-Perret
Tania Franco Klein, "Positive Disintegration", (Limited Edition 500 copies), 2019, 240 E., voir site de l'artiste
10:27 Publié dans Femmes, Images, Monde | Lien permanent | Commentaires (0)
04/11/2019
Manon Gignoux : éloge du vide
Les femmes de Manon Gignoux ne sont plus traversées par l’ondoiement de tissus. Mais ce qui couvrait (jusque là) ne dévoile plus rien. Et pour cause. Reste sans doute l’effet civilisateur du vêtement. Mais il demeure volontairement "sans effet".
Loin des tréfonds obscurs peut s'y chercher l’image d’une autre femme, qu’on aurait côtoyée peut-être du moins rêvée à l'évidence. Surgit aussi le regard ambigu sur le statut non moins ambigu de la féminité dans une société avide toujours de cloisonnements et de pérennité.
L'artiste nous donne à voir le travail de sape salutaire à la vraie liberté. Celle qui fonde et qui brise, celle qui - révélée - tend à occuper tout l’espace et faire le vide autour de soi - parfois pour mieux et paradoxalement se rapprocher de l’autre. La femme n'est pas plus contrainte à une nudité qu'à l'exhibition de ce qui l'enrobe. Les vêtements abandonnés ne suggèrent aucune inflorescence qui la prolongerait et l’isolerait. C'est comme une stance surréaliste qui cerne de pudiques fioritures un sentiment trop humain.
Jean-Paul Gavard-Perret
Manon Gignoux, Eponyme, Derrière la salle de bains, Rouen, 2019, 5 E.
11:10 Publié dans Culture, Femmes, Images, Résistance, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)