21/08/2015
Manon : rites de passage
Manon, Centre de la photographie, Genève, 18 Septembre – 21 novembre 2015.
« Après avoir trouvé le néant j’ai trouvé le beau » : ce qu’a écrit Mallarmé, Manon peut l’affirmer en « fixant » des transferts à la poésie particulière qui naît de situations aussi limites qu’ordinaires. Née à Saint Gall en 1946 l’artiste est une pionnière de la Performance en Suisse et crée des installations et des photographies. Elle s’est fait connaître dès les années 70 avec « The Salmon coloured boudoir » (1974). Elle a lutté pour une nouvelle distribution des rôles des femmes et a défendu la libération sexuelle. Dans ses séries « Woman with shaved head » et « Ball of lonelinesses » elle illustra la construction d’une nouvelle identité. La plasticienne a reçu de nombreux pris dont le « Meret Oppenheim » en 2008. Depuis sa présentation à la Galerie Écart en 1979, elle n’avait plus été exposée en Suisse romande. Après ses expositions au Helmhaus à Zurich, au Swiss Institute à New York, au Kunstmuseum de Saint-Gall et au Kunsthaus d’Aarau, l’exposition au CPG met en exergue son travail photographique et les points importants de sa création.
Contrairement à beaucoup d’artistes féministes Manon n’a jamais cultivé la provocation ou le militantisme outrancier. Elle a toujours opté pour une approche fantasmagorique non sans luxe et une forme de volupté qui évoque autant le rêve que le cauchemar. L’artiste s’intéresse - âge venant - au vieillissement et à la mort contre lesquels elle oppose un certain éros S. F. Plutôt que de réduire le monde au presque au néant elle est animée d’une ironie poétique. Sous leurs « enveloppes » ses femmes sont sensorielles et recèlent une beauté certaine. Le ciel devient terrestre. Une beauté cachée surgit d’étranges cocons moins funèbres que lumineux en dépit de quelques éléments inquiétants. Feinte d'incarnation, détour sont les deux opérations conjointes de l'image chez Manon. Entendons par là ce qui la fait accéder au statut de lieu où le visible transfiguré, transformé est livré au vertige virtuel comme l'être lui-même est offert à ce trauma perceptif là où il est retourné comme un gant.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:47 Publié dans Femmes, Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
20/08/2015
Maxine Helfman faces et interfaces
Par ses portraits subversifs Maxine Helfman réinterprète les notions de couleur, genre et classe. Dans sa série des « geishas » elle remplace les japonaises pas des afro-américaines. Dans sa série « Fabrication » elle propose des portraits de jeunes noirs qui portent des habits féminins. Dans la plupart de ses séries il s’agit de revisiter l’art du portrait tel qu’il était décliné dans l’art occidental. Inspirée par différentes périodes de son histoire elle la réinterprète selon un point de vue contemporain. « Les modes et les cultures changent désormais tellement que les diverses influences et catégorisations sont de plus difficile à définir » écrit l’artiste. Et plutôt que d’en tenter une impossible nomenclature elle préfère offrir une surenchère iconoclaste afin de créer de manière pertinente une série de fausses pistes.
Genres et «races » sont redéfinis dans une entreprise qui montre combien les vieilles normes sont de moins en moins opérationnelles. Ce qui est d’une certaine manière réconfortant. L'artiste reste autant provocatrice qu’habile stratège. Son théâtre qui ne bascule jamais dans l'obscène propose même l'inverse : une rédemption réparatrice aux vieilles nomenclatures. Elle se double d’un pied de nez au monde de l’art. Mais il faut moins y voir une farce que la création d'une œuvre "classique" dans sa forme et originale par son propos. Il pousse à bout ses ambiguïtés en donnant à l'humanisme et/ou à l'humanité un nouveau sens.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:53 Publié dans Femmes, Images, Monde | Lien permanent | Commentaires (0)
19/08/2015
Les architectures ouvertes de Nathalie Delhaye
L'architecture comme la vie : en attente. Reste l'état où l'union où le construit, le brut, et l’intervalle entre les deux interagissent en une gestation. Comment peut-on la qualifier ? Il; 'agit d'un work in progress que l’artiste transforme, dans le suspens même, comme œuvre à part entière. S’y font ressentir la lenteur et vitesse en un travail de tranchée. Il s’agit de séparer et unir. Séparer pour unir. Pans lisses presque comme s'ils ne voulaient pas être lâchés tant la douceur du façonnage les retient. Blocs bruts exagérément forts. Ils peuvent signifier une intensité qui accapare, déborde. Les formes ne se ferment pas. Il faut donc imaginer l’artiste comme une Sisyphe qui reprend toujours son récit par ce qu’elle propose.
L'architecture s'arrache au néant et sa confusion. Les laisser à proximité de l’œuvre montre le savoir et l’emprise. Tous les éléments de la nature et de la sculpture sont en un même mouvement d'envol. L’attente et espérance sont proches l'une de l'autre. On ne le remarque pas au début, il y a ce terre plein du monde à côté de ce dont Nathalie Delhaye devient l'ordonnatrice. Ses avancées contiennent forcément des abandons, une complétude qui sont presque les rênes de l'attelage de la création. De telles œuvres donnent à voir des commencements, des naissances. Celle ou celui qui regarde fera le “ reste ” là où la matière semble riche par superposition de solutions parfois opposées et surtout parce que le côté convaincant existe déjà. La force vitale accapare ; elle se passe de tout discours. Et ce dans le fait que la créatrice laisse en suspens la totalité de ce qui pourrait être donné. L’œuvre en cours dit : « souviens-toi d’où tu viens » en une suite d’énigmes disparaissant sans cesse pour renaître et pour qu’on aille de l'une à l'autre, évitant toute disparition.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:59 Publié dans Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)