13/10/2015
Plus que des pansements sur le réel : Carmen Perrin
Carmen Perrin, « Entrer dehors sortir dedans », Editeur Till Schaap Edition | Genoud, Berne, 280 pages, 2015.
Carmen Perrin par ses sculptures crée une signifiance dont l’incertitude libère une cavalcade rendue à la seule sensualité, sans possibilité d’arrêt sur un sens définitif. Cavalcade parce que désarrimée apparemment du réel dans la recherche d’une émotion pure du visuel. La poésie des formes géométriques évite le romantisme facile mais prend le parti de la beauté contre les lourdeurs du monde. Mais serévèle aussi chez l’artiste une heureuse façon de se décaler par rapport au binaire. Doit-on y voir une qualité typiquement suisse, pour celle qui se ressent comme située entre plusieurs identités ? Plus sérieusement, plus véridiquement, la poésie des formes marche avec l’énigme au sein d’audaces errantes, de gageures, de paris. Preuve que dans sculpture, Carmen Perrin engage toutes ses forces.
Elle tend, découpe, compose, organise la lumière, elle intervient dans l'espace public pour le rendre plus habitable et vivant. Son livre rassemble et documente sa production au cours des quinze dernières années. Sont réunies des œuvres monumentales, des installations éphémères, des travaux intégrés à des ouvrages d'architecture, des pièces d'atelier et des dessins auxquels l’écrivain bolivien Alfonso Gumucio-Dragon, l’essayiste Lorette Cohen et la conservatrice Françoise Saerens donnent leur vision et éclairage. Ces contributions prouvent combien l’œuvre est moins une simple mondanité qu’une extravagante féerie dont la joyeuse hospitalité modifie le quotidien absurde. Certaines de ses propositions deviennent - sur le lac Léman ou sur une place de Genève - des ambassades pour les extraterrestres. Mais l’artiste sait adapter son imaginaire puissant ou plutôt le retenir pour éviter les extases explosives trop faciles. L’artiste a donc appris en son pays adoptif moins à brider ses émotions que de concentrer - sous divers types de "globes" - son imagerie afin de lui accorder une formulation aux impeccables structures abstraites.
Jean-Paul Gavard-Perret
14:31 Publié dans Femmes, Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
25/09/2015
Sara Masüger : tout ce qui reste
Sara Masüger ne cesse de créer des vertiges visuels. Par exemple pour son expositions Hibernation à la Kunsthalle Marcel Duchamp de Cully, trois moules de mains en négatif se transformaient en couloirs dont les entrées pouvaient être regardées directement par les fenêtres de la Kunsthalle. Ces sortes de tunnels évoquaient les membres dont ils sont l’empreinte, et ceux-ci se rejoignaient, se multipliaient autour des cavités délimitées qui permettaient, au delà de l’exposition, une vue sur la lac Léman. C’est là un des pans de l’œuvre de la sculptrice native de Zug. Elle joue toujours de la loque, de la ruine et de divers types de surfaces torturées. Ses pièces portent sur un immense inconnu.
La torsion de la surface que des Beuys ou des Tapiès ont non seulement pratiquée mais théorisée s'ouvre ici à une autre dimension comme s’il fallait aller chercher chaque fois un peu plus loin l’écorce du réel. Celle-ci devient, par contrecoup, un ensemble d’amputations, de distorsions mais aussi d’ouvertures. Elle ne peut plus être le territoire de l'illusion sur laquelle un leurre viendrait se poser. L'iconographie de la créatrice parle au sein même de la matière et ne renvoie plus aucunement à une quelconque gloire céleste de l'image. Sara Masüger accorde donc à ses travaux une charge qui n'est plus figurative mais figurale. Il ne s'agit plus d’orner ou d’ordonnancer mais de créer un bouleversement par la matière même. Ou ce qu’il en reste.
Jean-Paul Gavard-Perret
13:18 Publié dans Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
24/09/2015
Chauve qui peut : Lee Materazzi
Installée à San Francisco, Lee Materazzi dans sa série « Clutter/Collapsible » photographie des corps installés de la manière la plus inconfortable possible dans des scènes du quotidien poussées à l’extrême. L’univers de tous les jours devient un espace symbolique emblématique puisque l’être est confronté à ce qui ne cesse de l’étouffer. La vacuité saute aux yeux à travers tous ses personnages « scalpés ». La solitude grandit dans ce qui instruit un poème du temps et des lieux.
Chaque photographie crée une fissure dans le présent mais aussi un lien avec lui. Le vide auquel elle donne sens favorise le dialogue et l’écoute d’un vécu qui n’est pas rapporté sous le registre d’une banale autofiction. Le quotidien est soumis à des lignes de force sous-jacentes. La créatrice reste au cœur du réel afin d’en éloigner tout idée de Paradis. Ses personnages vont d’erreur en erreur, au plus fort de l’exil intérieur dans ses narrations abyssales.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:49 Publié dans Femmes, Images, Monde, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)