17/09/2017
Thésée et les mots du silence
La collection « Apostilles » permet d’évoquer ce qui ne peut se dire. Tout reste sur le sceau du secret puisqu’en absence de texte, seul ce qu’il en reste – à savoir ses notes «critiques» - crée des béances dans l’anonyme afin de suggérer quelque chose de plus substantiel que les mots eux-mêmes. De telles incidences à l’absence permettent le passage et le partage du tout.
A cause de leurs racines et de l'énigme de leur écorce- marge d'opacité où peu à peu la transparence instruit – les notes unissent à l'arbre de vie du vide ou - si l’on préfère - le goût d'une vérité unique au nom d’un tronc commun via un flux venu ici, selon ce qu’en écrit Thésée, des lieux d’extrême orient.
La crête des citations permet de ne pas penser la fixation de manière banale. Elle blesse le ciel de la pointe de sa tendresse. L’apostille permet donc de revenir à ce qui est tu dans un discours nu. Quoi de plus stable qu’un tel déploiement ?
Au tronc, sont préfèrés ses rhizomes toujours premiers. Il convient de suivre les directions qu’en trace implicitement Thésée. Se livrant à un exercice de paradoxal silence elle évoque l’éveil comme une plainte presque religieuse qui rapproche l’éloignement de la proximité selon un rapport confondant.
Jean-Paul Gavard-Perret
Thésée, «Une voix de passage », coll. Apostilles, Danielle Berthet, Aix les Bains, 2017.
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14/09/2017
Sous l’écorce des eaux : Sylvie E. Saliceti
Sylvie E. Saliceti, « La voix de l’eau », Editions de L’Aire, Vevey, 2017, 80 p.
Dans son livre fondamental « Les structures anthropologiques de l'imaginaire », Gilbert Durand a démontré le lien qui, par delà les cultures, rapproche la femme de la mer. Et ce n’est pas un hasard si Vénus sort de l’eau. Sylvie E. Saliceti en forge sa propre symbolique et sa lutte : « Je suis toutes les femmes et la nageuse d’un seul combat / La mer est remplie de vos visages, de vos mémoires silencieuses». La poétesse parle en leurs noms. Elle est multiple et une pour faire parler le silence de celles qui ont servi de torchon ou de repos du guerrier.
« La voix de l’eau » n’est cependant pas remplie de haine ou d’amertume. La puissance de la poésie, comme celle des femmes, peut former une matrice pour une alternative à tous les statuts-quo. Le féminin imprime des vagues dont l’écriture prolonge les ondes. Encore faut-il ne pas chercher une poésie descriptive : « On n’écrit pas sur la mer / Elle nous écrit peut-être ». Et le moment est venu où la voix - perdant pied - avance vers ce qui se voudrait énigme mais peut modifier les leçons de l’histoire.
D’où cet appel de féminine engeance : « Coule donc Djoliba, chante / Que le geste te découvre – la peau, le corps, le récit / grain par grain, lettre par lettre ». Le gouffre de l’être se transforme en une maison aux mythes et empreintes archaïques que tant d’auteurs - même Baudelaire – ont cachés par peur de l’utopie que la femme porte en elle. Sylvie E. Salicetti ose donc une forme d’ « incompossible », le passage à la conscience comme au désir « qui lisse jusqu’au creux du ventre où se fatigue la salive d’une langue récoltée ».
A la poétesse de la réinventer - de l’occident à l’orient - au bord « des clartés hadales ». Cette quête reste un combat. Le geste de la nageuse en imprime l’impulsion. Il ouvre un territoire loin de l’avidité et de la corruption et pour l’amour : ce dernier a besoin de l’espace charnellement aquatique « pour brûler ». La créatrice en traque les abîmes là où son propre « je » « piste celle qui je suis » pour un futur germinatif : plonger devient une surrection.
Jean-Paul Gavard-Perret
14:07 Publié dans Femmes, Lettres, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (2)
12/09/2017
Betty Tompkins et les extatiques
L’iconoclaste Betty Tompkins revient sur le diagnostic de ses confrères en art au sujet de la sexualité. En plans très rapprochés elle provoque les séismes de la petite mort : celle qui ne ravage pas comme jadis l'épidémie de grippe espagnole, mais celle qui ensorcelle au prix d'une énergie incessante. Il suffit de parvenir à imiter les gestes sinon de tout le monde du moins de celles et ceux qui savent atteindre lisière, rivière, tumulus pour sauver de la détresse psychique. L’artiste capture les signes d’un paradis : il n’a rien d’artificiel. Ce qui reste de « romantisme » prend un caractère aussi impressionniste qu’expressionniste. Jaillissent des pensées en abîmes par effet d’émotions extatiques. Un présent immuable remplace le morcellement sinistre des instants. Il n’est en rien un point insignifiant entre le poids d’un passé nécrosé et la vanité d’un avenir douteux.
Jean-Paul Gavard-Perret
Betty Tompkins, « Solo show », Kunstraum, Innsbruck, du 20 septembre au 11 novembre 2017.
10:06 Publié dans Femmes, Images, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0)