19/10/2019
Vivian Maier : New York délire
Au coeur de son anonymat Vivian Maier en a fini avec les vieilles légendes de la photo d'identité. Par la théâtralité et les sortilèges de ses portraits s'impose en lieu et place un horizon mystérieux . L'identité n'enferme plus le moi dans le leurre de la ressemblance. Apparaissent une autre intimité touchante et la raillerie profonde d'un monde que la trace traite par l'absence d'un "vanitas vanitatum" dont le photographe multiplie les échos.
Pour Vivian Maier le "juste" portrait franchit le seuil de l'endroit où tout se laisse voir vers un espace où tout se perd pour approcher une renaissance incisée de nouveaux contours. Il y a là une cristallisation, une scintillation contre l’obscur.
Dès lors la créatrice a toujours couru un risque pour aller vers une création absolue par une sorte de perte de contact avec le réel comme envers la reconnaissance afin d'approcher le feu secret de l'être. Il s'agissait de s'extirper de l'apparence, de l"abîmer" afin de l'approfondir en des mises en scène paradoxales. Elles révèlent des schèmes élémentaires en diverses cérémonies intempestives fomentées dans des chambres noires d'où sortaient des bobines de pellicules restées secrètes et sauvées par miracle.
Jean-Paul Gavard-Perret
"Vivian Maier - Entre ses mains", Palazzina du Caccia di Stupingi, Turin, du 12 octobre 2019 au 12 janvier 2020.
10:46 Publié dans Culture, Femmes, Images | Lien permanent | Commentaires (0)
18/10/2019
Philippe Forest et les labyrinthes
Philippe Forest met en scène un peintre et son modèle, l'art et la politique. Son héros n'a pas "la tête à la théorie", il a du métier mais reste secondaire en faisant du tableau un miroir. C'est peu et c'est bien là le problème. Existe une sorte de lutte entre Churchill et son portraitiste mais bien au-delà une mise en scène théâtrale de cette confrontation de l'impossibilité de toute "re-présentation". D'où une méditation originale. Le narrateur s'y dédouble de manière systémique dans une complexité découpée en actes et intermèdes par échos au "Théâtre/Roman" d'Aragon.
Ce livre est aussi froid que fraternel. La condition humaine est ramenée à la perte que l'auteur métabolise avec brillance. S'y mêle à la fois l'interrogation sur l'art - auquel préside toujours le "au début la répétition" de Michaux - mais aussi celle sur le sens de l'altérité autant de la part de ses personnages que de l'auteur et ce par delà le vrai et le faux pour atteindre divers types de mythes aussi personnels que généraux.
Jean-Paul Gavard-Perret
Philippe Forest, "Je reste roi de mes chagrins", Gallimard, Paris, 2019.
08:59 Publié dans Culture, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)
17/10/2019
Claude Mollard et les présences primitives
Par son travail photographique Claude Mollard (un des pères fondateurs du Centre Pompidou) transforme le monde et le regard. L'imaginaire de l'artiste crée une perte de repères et invente des présences à travers les surfaces qu'il décrypte et saisit. Des portraits surgissent là où le minéral et le végétal se rapprochent de masques originaires mystèrieux et fantastiques.
Encore faut-il savoir les remarquer comme le photographe transformé en chasseur premier opère en faisant le vide en lui pour se tenir poreux face à ce qui arrive. Il possède un regard aigu et toute une poétique de l'image afin de dénicher de tels portraits fabuleux au sein de la réalité. Des chamanes touffus, des êtres fabuleux sont extirpés du poids terrible du réel. Claude Mollard l’allège et surtout le mythifie. Les formes primitives deviennent par l'art de la prise de vue (angles et lumières comprises) des présences incontournables.
Sans ostentation, ni exhibition, soit par effet de masse, de moirures ou à l'inverse en des prises essentialistes l’artiste crée un climat spirituel intermédiaire. La photographie devient presque abstraite afin d'offrir des portraits plus que symboliques puisque la nature elle-même est tirée par ses touffes hirsutes. Il s'agit de saluer l’union de la terre et des dieux, de gommer les différences entre les hommes et leurs mythes dans ce qui devient des portraits de primitifs du futur. Claude Mollard les convoque pour lutter contre la disparition de l'espèce considérée comme humaine.
Jean-Paul Gavard-Perret
Claude Mollard, Galerie Capazza, Nancay.
16:44 Publié dans Culture, Images, Nature, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0)