16/01/2020
Nadia Lee Cohen : Poupées presque brisées
Provocantes, mélancoliques parfois effrayantes les poupées US de l’anglaise Nadia Lee Cohen portent plus loin les critiques qu’un art féminin a déjà illustré avec Nan Goldin et Cindy Sherman. Ne semblant pas aimer ce qu’on a fait d’elles, ces femmes subissent une beauté fabriquée qu’elles doivent assumer. Filles de tous elles deviennent filles de rien mais restent sauvées par le regard de la jeune anglaise qui épouse leur désarroi silencieux. Non seulement ses clichés viennent percuter les murs de la mémoire par nostalgie (des années 60) mais ils permettent la critique d’un présent ravagé dans des mises en scènes enfoncées dans les arcanes de l’étrange.
Photographe, cinéaste et autoportraitiste basée à Los Angeles, Nadia Lee Cohen est inspirée par sa ville d'adoption. Elle alimente sa fascination sans fin avec l'Americana et la vie conventionnelle en banlieue. L'artiste les documente et les métamorphose en des récits à l’intérieur des maisons ou dans les parkings des supermarchés. Ses protagonistes féminines défient la complaisance une forme d'évasion sexuelle sous des signalisations et des références culturelles populaires. Derrière le glamour coloré de surface s'inscrit une mélancolie subtile plus que choquante. Les prises brouillent les frontières entre fantasme et réalité avec ironie. Rien n’est ce qu’il semble : la familiarité est subvertie par un relent inquiétant.
Dans de tels fantômes louvoie une forme de volupté. L’artiste anglaise construit un pseudo-reliquaire de formes kitsch et vintages enchâssées dans des lieux qui deviennent des frontières visuelles. Les photos sont des écrins labyrinthiques à hantises : leur "vide" laisse apparaître des reconstitutions où à l'image "pieuse" de la playmate se substitue le conditionnement du féminin. La femme ignore le sourire et semble se demander ce qu’elle fait là «déguisée» en poupée maquillée à outrance et chosifiée.
Jean-Paul Gavard-Perret
Nadia Lee Cohen : Not a Retrospective", Centro Niemeyer, Avilès, du 17 janvier au 29 mars 2020
14:59 Publié dans Culture, Femmes, Humour, Images, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0)
10/01/2020
Jan Fabre et le jardin des délices
Usant à tous les sens du terme de 200 000 stylos Bic bleu Jan Fabre a développé une suite créée à l'origine par quasi accident. Il suivait avec un tel ustensile le parcours d'un scarabée sur une boite d'allumettes. Il a développé depuis ce point de départ contemplatif sa propre période bleue sur divers supports. Il s'agit par ce biais non de les ligaturer mais de s'enfoncer dans une union de ce qui fut le vierge mais a été largement consommé et consumé.
Dans une interview du 9 janvier 2020 pour l'inauguration de son exposition l'artiste iconoclaste belge précise le sens de cette entreprise très spécifique au sein de son oeuvre et parcours hybride : "La série de grands dessins au Bic bleus de l'Heure Sauvage est un hommage à la force et à l'anarchie inhérente à la Nature. Ce que les humains se doivent de respecter." Et ce si nous voulons vivre encore là où l'accord est pur et résonne dans les hautes frondaisons que Fabre incise.
L'impact d'un tel travail entamé depuis longtemps prend actuellement une force nouvelle puisqu'il s'agit de rappeler à tout homme la nécessité de se plier devant la puissance de vulnérabilité et de beauté de la nature. Bref il faut tenter de le rapatrier dans un Eden que nous avons saccagé. Ce travail devient donc un rappel à l'urgence. Et Fabre reste celui qui dans toutes ses oeuvres ne cesse de défendre l'humanité, la nature, la beauté, l'art. Dire qu'une telle exposition vient à point nommé serait un euphémisme. Il s'agit de faire comprendre que de notre chair et du monde bleu ne resteront bientôt que des morceaux de gris.
Jean-Paul Gavard-Perret
Jan Fabre, "L'heure Sauvage", Templon, Bruxelles, du 9 janvier au 22 février 2020.
09:39 Publié dans Culture, Images, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0)
08/01/2020
Pierre Bourgeade : le pourquoi et le comment
Dans ce roman terminal donc définitif (republié à bon escient aujourd'hui) Pierre Bourgeade prope sous forme de raod-trip un dernier voyage. En dépit d'une certaine impuissance qui l'enkylose le narrateur ne pose pas en Narcisse mélancolique. Il recueille des gouffres rendus instables par le maladie de l’idéalité comme de l'amour de la femme. Au nom d'une d'entre elle qu'il va rejoindre.
Sur le parcours certaines rencontres charnelles tarifées sont encore de mise juste avant l'ouverture de la nuit définitive. Et Bourgeade retrouve sa verve dans un processus nomade de réseaux, de fragments. Hors sentiers battus, hors doxa émergent des visions à multiples entrées et comme en apories.
Il faut en effet souligner ce sentiment du mystère qui loin de guider vers l’au-delà se "contente" de faire revenir vers l’en-deçà. A sa manière Bourgeade rappelle tout ce qu’un corps féminin contient non seulement d’intime mais du cosmos. Emerge une compréhension plus juste de l’humain trop humain toujours complexe et riche de toutes les questions qui l'anime. L'auteur les rappelle en cette fin de course au bout de son chemin.
Jean-Paul Gavard-Perret
Pierre Bourgeade, "Warum", Tristram, Auch, 2020.
11:54 Publié dans Culture, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)