06/06/2013
Maya White : le noir et le blanc
Maya White, « Trente trois Papillons », Héros-limite, Genève, 64 pages, 12 euros, 2013..
Celle qui dans Anfall (2000) laissait poindre - tirée des strates de vies entassées sous le sable - ce qu’elle put récupérer – à savoir: « Des monuments de mensonges sont bâtis sur les braises. Je me promène dans ce mensonge » - revient avec Trente-trois papillons à une autres série de fragments écrits ces dernières années. L’artiste d’origine africaine, mais suissesse d’adoption a trouvé dans Alain Berset - éditeur discret mais essentiel - celui qui donne à son texte une mise en espace idéale.
L’image du papillon offre la plus forte métaphore d’un présent ineffable. Son origine est dans le point de fuite du passé dont le futur se nourrit. Dès lors l’espace livresque représente - comme souvent - celui de la mémoire. Mais il prend un sens plus étrange. La mémoire n’exclut plus l’oubli. Elle n’exclut pas non plus et au contraire même la fragilité. Celle-ci tremble dans les laisses de blanc inséminées dans le texte. Et ce comme si l’artiste ne pouvait retenir du passé que quelques fragments, quelques « ailes » toujours prêtes à se brûler sur des firmaments illusoires.
Maya White rappelle que tout devenir a besoin de l’oubli mais que toute histoire se nourrit de racines. C’est pourquoi si l’auteure vise l’oublié, elle l’articule tout autant. Le visible du texte est celui des images mentales et affectives qui remontent. Se découvrent un équilibre, un balancier entre présent et passé. Et soudain l’oubli n’est pas une pure perte. Le travail de l’imaginaire et de l’inconscient s’y croisent au service d’une émotion particulière, d’une hybridation fantomale.
Du texte émane une phénoménologie irrationnelle aux yeux des occidentaux que nous sommes pour la plupart d’entre nous. L’abstraction inhérente aux signes du langage écrit articule une extase presque ineffable mais tout autant concrète. Si bien que ce beau livre devient un aître : à savoir l’âtre de l’être. Celui-ci ne cesse à la lecture de glisser du fermé à l'ouvert au moment où le rite poétique transforme la notion même de passage en éternité.
Jean-Paul Gavard-Perret.
15:30 Publié dans Culture, Femmes, Genève | Lien permanent | Commentaires (0)
05/06/2013
Le salé-sucré de Joëlle Flumet
Joëlle Flumet, "Bite, cul, nichons et chatte", Editions Ripopée, 112 p., Nyon, CHF 12, 2012
Joëlle Flumet, "C'est bon de ne pas regarder à la dépense", Coll. Sonar, Ed. Art et Fiction, 32 p., Lausanne, CHF 29, 2012
Joëlle Flumet adore des excès ce qui -paradoxalement - ne lui empêche pas de cultiver une certaine retenue. Certes ses titres de ses textes ne l’indiquent pas forcément. La rétention est moins dans les sujets ou titres scabreux ou provocateurs que dans la manière ludique, simple, iconoclaste de les aborder afin que l’obscène lui-même soit réduit à son plus simple « appareil ».
Aux amateurs de vieil art et de vernis sages l’artiste propose une leçon d’inconduite à travers ses cours des miracles pleines d'acmé juvénile. Mais le désir de choquer reste secondaire. Il faut retenir surtout une science de l’hybridation plastique. S’y télescopent l’univers enfantin et le réel. Faussement naïves les œuvres possèdent un charme spécifique. Il ne tient pas au sacrifice enjoué des derniers outrages accordés à l’exhibition de ce « sein qu’on ne saurait voir» mais à la manière de se moquer de tout ce qui sert au mâle à penser et qui réside bien plus bas que sa tête.
Entre les codes cérébraux et le manque à gagner de la sensation, les héros et héroïnes de la créatrice rappellent sous forme nonsensique que la vie n'est pas qu'un leurre. Le théâtre plastique d’une telle fée des faveurs reste dans la farce qu’elle concocte à sa main et selon sa pétition de principe : « qu'est-ce que je vois encore avec les yeux qu'on m'a donnés et avec les mains je saisis quoi ? »
Celle dont une de ses dernières œuvres fit scandale à l’« Art and the City » de Zurich continue à venir à bout de ce qui fascine les voyeurs, réclame leur appétit et démange leur carcasse. Il ne s’agit pas de proposer une contemplation passive d’un sujet ou d’un motif mais d’éclairer la perception obviée du monde par un traitement oblique de l’illusion d’optique.
Jean-Paul Gavard-Perret
16:46 Publié dans Culture, Images, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)
04/06/2013
Jura chic parc
« Paysage(s) » - Giles Aubry, Damien Comment, Philippe Queloz en dialogue avec les œuvres de Coghuf, Albert Schnyder, Charles Robert, Laurent Boillat, Auguste Quiquerez, Musée Jurassien des Arts, Moutier, du15 juin au 1er septembre 2013.
L’exposition du Musée de Moutier propose une interrogation sur le sens du paysage dans le contexte du Jura Suisse. Elle fait entrer en confrontation mais aussi en symbiose trois artistes contemporains avec les œuvres historiques que possède le musée. Cette mise en espace permet de comprendre combien l’œuvre paysagère est toujours une interprétation et en rien une simple représentation. Au XIX siècle une tendance idéalisante prédomine sous le joug du romantisme de l’époque. La vision est devenue plus critique avec le temps. Débarassé de tout souci de documentation par la photographie l’art en propose des « visages » de plus en plus diversifiés.
Gilles Aubry, Damien Comment et Philippe Queloz tous trois natifs de Delémont possèdent une expérience intime de la géographie du Jura. Les trois la mettent néanmoins en question de manière différente et selon divers médium. On est loin des deux paysagistes les plus connus qui ont peint le Jura : Albert Schnyder et Coghuf. Le Délémontain et le Bâlois ont créé l’image de marque de la région mais l’ont éloigné de ses réalités. Laurent Boillat et Charles Robert s’en sont un peu plus rapprochés. Néanmoins dans toutes ces œuvres la montagne est traitée de manière « exotique », qui n’a pas disparu. Les vues des reliefs accidentés font encore les délices d’une peinture disqualifiées. Elles gardent encore ses fidèles amateurs de gorges profondes et d’érections escarpées propres à une certaine idée du sublime .
Face à ces visions les trois contemporains font figure d’iconoclastes. Gilles Aubry intègre à son installation le plus ancien témoignage photographique du paysage jurassien : les calotypes d’Edouard Quiquerez. Ils sont considérés comme les premières images « réalistes et objectives » du monde jurassique. Damien Comment joue subtilement à travers le portrait sur une l’ambivalence : le Jura oscille entre Eden et Enfer. Des figures adolescentes en surgissent entre timidité et impudeur. Philippe Queloz a choisi une installation multi médias afin d’intégrer une vision axée sur le déplacement. Désormais le paysage ne se contemple plus de manière statique mais en voiture, avion, train voire de manière virtuelle. Il se réduit à une traversée ou un road movie. Forcément ses lignes directrices se transforment (exit la perspective traditionnelle). L’artiste en donne les raisons.
Les trois contemporains à l’inverse de leurs aînés entrent dans le paysage tout en s’en dissociant. Il ne s’agit plus de faire du Jura un parc d’attraction ou naturel. Prenant conscience des imbrications sociales et politiques de l’élément spatial ils ne font plus entrer dans des sous-bois mais en état de seconde nature. Le paysage devient un lieu incarné et un espace critique. Par effet de buée et d’hybridation les œuvres ne cherchent pas la séduction mais une précipitation. Au spectateur de cette exposition intelligente et par la confrontation de leurs œuvres et celles de leurs aînés - de découvrir - ou non - une cohérence. Avec « Paysage(s) » non seulement la nature mais l’art sont rendu à leur doute. Preuve que l’art ne se limite jamais au simple « développement photographique’. Il invente des narrations différentielles. Mais faut afin d’y parvenir non seulement de nouveaux médiums et des techniques inédites sont nécessaires : un regard est essentiel. Il fait le génie d’une œuvre. Ou sa banalité. Les trois artistes penchent ici du premier côté.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:05 Publié dans Culture, Images, Nature | Lien permanent | Commentaires (0)