10/12/2020
Entre Lyon et les pays de Savoie : Philippe Mugnier attentif biographe
De son grand-père, le Haut-Savoyard Philippe Mugnier ignora longtemps jusqu'au prénom. On le nommait "Le Lyonnais" tant dans la région de Taninges et des Gets il paraissait fringant. Son élégant costume trois pièces, sa montre à gousset en imposaient et signalaient une condition bourgeoise plus que montagnarde.
La chambre de l'aïeul disparu (en 1907) fut pour l'enfant un refuge. Il y cohabitait avec tous ses "fantômes mis sous cadre", si bien que ce grand-père devint un "tuteur déroutant", une présence bien plus qu'une absence. Il fit son héros de celui qui roula sa bosse par villes et montagnes. Il en retrace l'existence au moment où la ferme du fantôme doit disparaître.
Son livre en devient le miroir (illustré) et ramène aux origines de l'écriture du petit-fils et à ses émotions d'enfant puis d'adulte conséquent. Au sein d'une histoire économique, politique et sociale, entre réussites et errances, l'auteur recrée une de ces "vies minuscules" (Pierre Michon) qui font l'histoire. Et celle du "Lyonnais" devient ici une existence (presque) imaginaire et une méditation sur le temps.
Jean-Paul Gavard-Perret
Philippe Mugnier, "L'homme au balcon", 272 p., 39,90 E., 2020. Commande : voir Facebook de l'auteur.
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06/12/2020
L'objet et sa représentation : Laurence Bertrand Dorléac.
Le concept esthétique de "nature morte" date du XVIIème. Mais ce type de représentation, comme le rappelle Laurence Bertrand-Dorléac, remonte à l'aube de l'humanité où un dialogue commence entre une "communauté morte-vivante". La dernière exposition sur le genre eut lieu en France en 1952 sous la curation de Charles Streling comme pour en signifier la fin (apparente) au moment où l'objet était soudain montré de manière exhaustive par le naissant "Pop art".
L'auteure remonte le temps pour expliquer comment un tel genre est l'expression de l'émotion d'un créateur mais reste tout autant le fruit d'un temps, d'une mode, d'une idéologie. En effet, suivant les époques et les cultures, l'attachement à la représentation de l'objet est bien différent.
Néanmoins du VI ème au XVI ème siècle, la nature morte disparaît en Europe. Laurence Bertrand-Dorléac montre que dans ce laps de temps l'objet n'est qu'un signe. Il accompagne la figuration de Dieu et autres saints. Il faudra donc attendre 1000 ans pour qu'il devienne la glorification de l'humble et sorte l'art du monumental et de tout statut de majesté pour exprimer le sens du moindre par des "fruits classés X" éloignés d'une allégorie des dieux. La Nature Morte s'impose alors comme fétiche du fétiche et prouve que derrière la chose et sa reproduction il n'y a pas rien mais tout. Ou si l'on préfère le rien du tout, son fantôme, sa pétrification dans une sorte de défi que relève près de nous et par exemple Andrès Serrano , Jan Fabre, Jean-Pierre Formica.
Jean-Paul Gavard-Perret
Laurence Bertrand Dorléac, Pour en finir avec la nature morte, coll. Art et Artistes, Gallimard, 2020, 220 p.-, 26 €
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01/11/2020
Wu Cheng'en, le singe et le lettré
Dès le début du IXème siècle, l'imaginaire chinois s'était emparé des exploits de l'histoire du moine Xuanzang. Il partit seul appuyé sur sa canne et revint bien des années plus tard courbé sous le faix de centaines de soûtras bouddhiques. Il les ramena dans une hotte d'osier pour apporter à son peuple le feu sacré. Cheng'en a donc repris cette histoire légendaire tout en lui accordant une nouvelle portée.
"La Pérégrination vers l'Ouest" est en conséquence devenue pour la culture chinoise l'équivalent en occident des livres de Rabelais ou du "Don Quichotte" de Cervantès. Le roman possède le même caractère inaugural. La fiction devient à la fois fantastique, épique en son aspect "road movie" et initiatique là où apparaissent des créatures surnaturelles et des prodiges animaliers. Dans la version de Cheng'en Xuanzang n’y est plus le héros. Il devient le protégé de monstres ou d’esprits-animaux convertis au bouddhisme, avec au premier rang le Singe pèlerin sans lequel il aurait sans doute échoué. C'est une manière de critiquer tout un intellectualisme comme Rabelais le fit avec ses moines et Cervantès avec son chevalier pollué par ses lectures.
Avec Cheng'en les aventures aussi bizarres qu’extraordinaires n’ont donc presque plus aucun rapport avec les sources historiques. C'est comme si Sancho Panza avait pris le rôle du Quichotte - étant plus compétent que lui de manière pratique et doté d'un esprit plus mâtinéeà diverses réalités. Cheng'en - aux époques proches que nos primo-romanciers - a donc créé un même type chef d'oeuvre. L'imaginaire, l'extravagance et la folie animent les cent chapitres de ce livre incontournable. Le Singe devient une des clés capables de remettre l'humain à une plus juste place dans un système où l'être humain n'est plus le roi. Et à qui veut comprendre la littérature et la culture chinoise il faut commencer par là.
Jean-Paul Gavard-Perret
Wu Cheng'en, "La Pérégrination vers l'Ouest", 2 tomes. Edition et traduction d'André Lévy, Bibliotèque de la Pléiade, Gallimard, 2020.
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