24/12/2020
Ella Walker et les portraits énigmes
Ella Walker mélange les cultures, leurs mythes et les systèmes de représentation. Son travail devient une méditation et une exaltation unissant un mouvement de dilatation à celui de la concentration. Se lient l’infime le spectaculaire et le spéculaire dans un post expressionnisme et surréaliste - jusqu’au leurre de tout effet de remise figurale. C’est en cela que son oeuvre fascine puisqu’elle réunit les contraires en une harmonie où il s’agit de s’abîmer dans une extase ambiguë.
Surgit un espace particulier où le voyeur recherche plus son âme qu'un réservoir de fantasmes. Ella Walker fait en ce sens, du spectateur, un "névrosé" d'un genre particulier. Ma névrose est ici non pathologique mais saine. Loin d'une signification incestueuse à la jouissance de l’Autre, le regardant que façonne l'artiste se met " dans la conséquence de la perte" selon la formule de Lacan à travers des images qui signalent l’inconsistance, l’inexistence du monde tant leur signifiant devient équivoque.
Mais cette vision d'œuvres désamorcées de leur sens premier permet d'en jouir mentalement et dans l’imaginaire, puisque ces images détournées sont tout à fait réelles et possèdent des effets de réel perverti. Nous pouvons parler à propos de telles œuvres de "disapparition" (selon la formule de N.J. Woo) au coeur d'une écriture plastique qui fait des images que nous connaissons des figurations "inconsistantes". L'oeuvre fait de l'univers de la représentation traditionnelle une marge ou un hors-lieu. L'imaginaire s’accordant au réel de la jouissance, l'écarte d'une jouissance du réel tel qu'habituellement il est donné à voir.
Jean-Paul Gavard-Perret
Ellla Walker, Huxley Parlour, Londres.
20:51 Publié dans Culture, Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
23/12/2020
Du pain sur la planche - Katharina Ziemke
Avec comme incipit "On ne fait jamais attention à ce qui a été fait ; on ne voit que ce qui reste à faire." (Marie Curie), la deuxième exposition de Katharina Ziemke à la galerie Isabelle Gounod fait dialoguer deux séries : des paysages ravagés par les bouleversements climatiques (ils font suite à sa série "Storm"), selon une vision romantique et critique superbement "jouée" et une série de portraits de femmes scientifiques du XXème siècle effacées des tablettes de la reconnaissance par leurs pairs.
Dans les deux cas la créatrice, plutôt que de jouer des manichéïsmes manie nos liens au progrès. Elle prouve que l'évolution du monde pose la question de la responsabilité de tous les êtres : "Ces femmes ont peut-être contribué, elles aussi, à l’exploitation de la nature, mais cela n’empêche pas de constater qu’on leur a fait grand tort, comme on a fait grand tort à la nature" écrit Katharina Ziemke. Le tout dans un caractère d'urgence mais auquel l'artiste donne un recul poétique prégnant.
Bien des paradoxes sont exposés dans ces deux corpus. Ils se répondent autant par leur thématique que par l'approche picturale au couleurs vives et aux narrations intempestives. Tout est construit afin que le regardeur s'interroge par ses recherches sur la complexité du monde, ses valeurs et schèmes de représentation là où demeurent toujours certains détails qui ne seremarquent pas tout de suite mais qui soudain sautent aux yeux.
Jean-Paul Gavard-Perret.
Katharina Ziemke, "Ce qui reste à faire", Galerie Isabelle Gounod, du 13 février au 13 mars 2021
08:27 Publié dans Femmes, France, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
21/12/2020
Anne Rochat : le corps, l'espace, le temps
Anne Rochat. In Corpore, Espace Projet, Musées des Beaux Arts Lausanne, du 11 décembre 2020 au 14 fevrier 2021. Monographie de 152 p. à paraître chez art&fiction, début mars 2021 avec des textes de Jean Rochat, Olivier Kaeser.
Anne Rochat présente dans cette exposition un panorama de son travail de ces dix dernières années. La majorité des oeuvres est constituée de performances en réponse à des situations et des lieux dans lesquels l'artiste fait - comme elle l'écrit - "l’expérience sensible du déplacement, de l’inconfort, de l’exotique, du dérangeant ou de l’étonnant puis de chercher à en restituer la substance dans une forme incarnée dans un corps" qui généralement est le sien.
Certaines des performances visibles ici furent réalisées à l'origine face à un public et sont reprises en différé grâce à la vidéo. D’autres, réalisées par l’artiste en solitaire sous le nom de son alter ego Doris Magico, n’existent dès le départ que par la captation vidéo. Anne Rochat y détourne des objets de leur usage quotidien, dans une atmosphère entre le burlesque et l'inquiétant pour capturer le souffle de vie d’un corps plongé dans le contexte particulier de diverses expériences sensorielles.
La créatrice rassemble donc en un seul lieu des espaces géographies - de l’Amérique latine à la Chine, de l’Inde à la vallée de Joux. La présentation de l'exposition est réactualisée par le renouvellement des vidéos toutes les trois semaines pour mieux faire ressentir l'importance des mouvements et des flux dans un seul travail de recouvrement et dénudation à l'épreuve du temps. La plasticienne y essaye des possibles contre l'harmonie. Elle lui préfère toujours la dysmorphie colorée qui devient (comme Doris Magico) sa soeur jumelle au sein de cette divagation fantaisiste loin des perceptions compassées.
Jean-Paul Gavard-Perret
21:33 Publié dans Femmes, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)