02/07/2020
Simon Senn et la profondeur de peau
Simon Senn, "Be Arielle F", art&fiction, Lausanne, 2020.
Le projet de Simon Senn part d'une étrange missive de l'auteur à "sa"créature : "Chère Arielle F., Je suis un artiste basé à Genève et je travaille actuellement sur un projet scénique ou je vais utiliser une représentation tridimensionnelle de vous-même. J’ai acheté votre réplique digitale sur le site "3dscanstore.com" pour 10 dollars et ma licence m’offre une quasi-totale liberté avec celle-ci." Mais très vite - oubliant ce qu'il lui "doit" - l'auteur va utiliser ce double virtuel et rentrer dans sa peau et en scène avec en préambule l'injonction de Shakespeare dans La Tempête : "Ses os sont devenus corail / Perles sont ses yeux /Rien de lui ne disparaîtra / Mais il est changé / En quelque chose de beau et d’étrange". Dès lors non seulement une transfiguration a lieu mais se déploie toute une réflexion sur l'image et ce qui en découle.
Ce double ne sera pas considéré comme une machine à faire du fric mais un spectacle d'un étrange docteur Knock ou Mabuse. Il est seul en scène et son visage est projeté sur un grand écran, au centre de la scène, recouvert d’un masque numérique aux traits féminins. On le voit s'ébrouer ainsi et parfois redevenir lui-même. Il raconte son histoire, sa rencontre avec Arielle et décrit même les étapes du paramétrage de son "pantin numérique". Tout paraît simple si l'on en croit le maître de cérémonie. Un monde futur voit le jour et permet de répondre (entre autres) à la question : Que peut un corps ? Et il le prouve en devenant lui-même femme incarnée.
Cette expérience le bouleverse (on le serait à moins) mais il se sent bien dans ce corps, "qui semble lui révéler quelque chose de lui-même qu’il ignorait et qui l’émeut." D'où à partir de cette expérience une sorte d'enquête ramifiée. Simon Senn la raconte, l'explique, la démontre en se confiant et rappelant ses expériences. Et ses opérations effectuées sur l’image d’un corps d’une jeune femme nue ne manquent pas de réveiller des fondamentaux culturels et des enjeux symboliques et sociaux qui sont pour le moins perturbants. Cette mutation réversible convoque autant l’histoire de l’art que la pornographie, l'identité, l'éthique du consentement, le respect de l’intégrité physique, l’utilisation des données personnelles. Si bien que "Be Arielle F" ne peut échapper au soupçon de fake news, de fiction et de manipulation des faits. Car malgré la sympathie que Simon Senn dégage envers sa créature son étonnant récit ne permet pas de déterminer avec certitude ce qui est de l’ordre de l’invention ou des faits réels. Et c'est ce qui fait la force de ce faux jeu de dupes.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:20 Publié dans Culture, Images, Lettres, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
26/06/2020
Pierre Andreani en pointillés
Il suffit de quelque lignes (en pointillés) à Pierre Andreani pour se tirer et portrait et bilan. Le tout dans une complexité inhérente à tout homme. Refusant tout laïus l'auteur va à l'essentiel. Cet exercice de brièveté peut être pris pour une précaution oratoire. Mais c'est bien plutôt un exercice de synthèse. L'homme y devient parfois sinon un porc du moins un animal peu épique.
Ses équipées mentales ou amoureuses se sont révélées parfois du purs fiascos. Pour autant malgrè une certaine aigreur pas de quoi en faire un fromage car après tout au possible nul n'est tenu - pas plus les hommes que les femmes. Neige ou pas il arrive que chacun se prenne un sapin en pleine poire et que les lunettes (de ski ou d'aisance) servent à moins voir. "C'est voir mieux" disait Beckett. Il n'avait peut être pas tord, car après l'embolie l'embellie peu renaître. Il suffit pour cela d'en changer...
Jean-Paul Gavard-Perret
Pierre Andreani, "Embolie ou la résurrection", Editions Furtives, Besançon, 2020.
11:12 Publié dans Culture, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)
12/06/2020
Le lac Léman et ailleurs - Dominique Preschez
Pour Dominique Preschez et plus que jamais l'écriture est le moyen d’écarter les mâchoires d'un carcan dans lesquels l’être est pris et lui permettre de se remettre en tentation. Et ce à la suite de deux tribulations majeures. Une personnelle qui mena l'auteur sur les berges de l'Achéron et l'autre plus générale et proche de nous : le confinement coronaïque.
Le premier est pour l'auteur plus important que le second car le voyage fut plus long et périlleux. Mais sortant de ce joug Preschez reprend corps en s'interrogeant - entre autres - sur la raison raisonnante et loin de ses chemins. C'est une sortie de la nuit de l'être pour vivre une renaissance. Sans reprendre ostinato une trop vieille rengaine.
Dans ce but le langage "nouveau" de Preschez déplace les lignes de vie et ce partout où il se trouve au bord du cirque de Morèze ou au bord du lac Léman. C'est moins pratiquer - par fragments - la tabula rasa que raffiner l’humain trop humain par la "voix". Celle de la dérision au besoin. Plus que supports de supplications une telle œuvre cherche à retrouver le réel afin de ne pas en perdre la "viande" chère à Artaud.
Jean-Paul Gavard-Perret
Dominique Preschez, "Parlando, Z4 éditions, 2020, 142 p., 12 E..
15:47 Publié dans Culture, France, Lettres, Suisse | Lien permanent | Commentaires (1)