27/11/2013
Olivier Vogelsang : archéologie du fugace
Olivier Vogelsang, « Switzerlanders », Editions D’autre part, Genève
Le livre (d’art) d’Olivier Vogelsang est le parfait opposé du « Gli Svizzeri, Ils Svizzers, The Swiss , Die Schweizer » de Mathias Braschler et Monika Fischer, (Hatje Cantz, 2013). Tout dans le livre du couple joue sur le chromo là où la mécanique du chrono suisse semble arrêtée. Les habitants s’y réduisent à des personnages d’un musée de cire. Ils peuvent être légitimement agacés tant le choix des images restent archétypal. A l’inverse Olivier Vogelsang s’attaque aux clichés. Il offre un regard personnel sur une certaine Suisse. Il le développe au fil du temps. L’art photographique ne se limite plus à une chasse aux papillons. Dans ce petit traité d’archéologie du fugace s’ébrouent de multiples avatars encore non mis à nu et parfois iconoclastes eu égard aux idées reçues. Le Genevois a compris qu’il ne faut jamais rechercher le prétendu marbre de l’identité supposée mais au sein d’un jeu de piste de donner à voir ce qui demeure caché. On connaît le point de départ de cette quête (1966) mais pas celui d’arrivée.
La photographie ne mène pas où l’artiste pense accoster. Il avance même s’il a peur que la “ terre ” lui manque, s’il craint de la rater, d’échapper à sa sphère d’influence, à sa force de gravité. Pour preuve : tout semble bien précaire en ses instantanés. Mais c’est alors que tout commence, que les enfantillages prennent fin. Face aux rentiers photographes le Genevois devient un créateur soutier. Il ne lui reste face à l’objectif qu’un seuil minimum de sécurité existentielle : celle d’où il extrait son travail. Ses photographies gardent une vocation fabuleuse : celle de faire reculer le chant des certitudes. Elles mettent une grâce dans les pesanteurs afin de rétablir à tous les sens du terme un charme. Constitué par la menace de la disparition l’artiste sait qu’il n’est pas d’empreinte ineffaçable. Néanmoins pour cette raison il est nécessaire de photographier, de « retenir » en tentant, dans un travail d’empathie, de saisir ce qui échappe. Le créateur a su trouver un langage qui multiplie les prises et se découvre en avançant tandis qu’il s’enfonce - avec son regard vers son sujet - “ comme à la limite de la mer un visage de sable ” (Michel Foucauld).
Jean-Paul Gavard-Perret
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26/11/2013
B.A.A. de Genève : l'atelier suisse de photographie
« Livres des photographes – un musée de papier pour l’image », Bibliothèque d’art et d’archéologie, 5 novembre 2013 – 31 mai 2014.
La BAA montre – « ouvrant » des livres imaginés et créés par des photographes et des artistes - de quoi de tels projets portent trace. D’amours de l’art ? De blessures et de joies de l’existence ? Le tout sans doute. Avec parfois une pointe d’humour, un clin d’œil du photographe. Il fait souvent abattre les cartes de celle ou celui qu’il capture dans des ouvrages qui pour certains déterminent l’histoire même du médium. Man Ray, Edward Ruscha apparaissent comme des fondateurs du livre d’artiste. Mais la Suisse y a la part belle. Grâce au duo Peter Fischli et David Weiss et surtout trois genevois : Steeve Iuncker, Christian Lutz et le trop discret Olivier Vogelsang. Très intelligemment conçu par Véronique Goncerut Estèbe et ses équipes cette exposition est d’une qualité rare. Tout y “ cadre ” parfaitement avec l’objectif de départ. A savoir rendre l’invisible de chaque conception visible dans un défilement aussi pédagogique que recréateur. La conservatrice en chef joue avec les images et les pages “ cartes sur table ” même lorsque des artistes comme Man Ray trichent en se plaisant à s’exonérer de la gravité de leur donne.
Quant aux trois Genevois ils prouvent comment le livre continue la partie avec la photographie en des jeux de cache-cache dont le support devient le transformateur. La photographie y mène d’autres aventures. Il en va par exemple pour Vogelsang d’une traque qu’il propose sur son propre pays (« Switzerlanders ») ou qu’il recherche dans les livres concepts d’autres photographes afin de saisir les reflets dérobés du monde. Grâce aux ouvrages inventés par les créateurs les photographies deviennent des narrations particulières. Chaque élément graphique et concret a un rôle. Le livre est par lui-même objet de création. La présentation muséale écarte ici tout pensum afin de préserver ce qui fait l’essence même de la quête d’un photographe. Chaque « invité » a trouvé par le livre le moyen plus approprié pour introduire en douceur jusqu’au cœur de sa vie et de son œuvre. A ne pas rater.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:49 Publié dans Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
25/11/2013
René Burri comme un larron en foire
René Burri, « Impossibles réminiscences », Phaidon, 2013, Londres, Paris, 85 E..
Burri est le maître de l’aseptisation iconographique. Et ce en dépit des meilleurs sentiments du monde. Le photographe suisse veut faire sentir toute la culpabilité qui devrait entourer les puissances économiques et politiques. A savoir celles qui asservissent les êtres. Mais cet absolu photographique à base de droits de l'homme, d'antiracisme, de devoirs de mémoire vibrent chez lui de trop délicieuses émotions esthétiques. Or (Gide l’a appris s’agissant de la littérature) qu’on propose l’art est guère efficient en proposant de trop belles images pour susciter de bons sentiments.
Dans ses photographies Burri développe à son corps défendant les schèmes d’une hypocrisie dialectique. L' « objectif » moral de son travail semble louable puisque du monstre rôde toujours. Mais en refusant d’aborder selon un langage dérangeant les sujets du même type le photographe transporte le concept d'éthique du côté d’« une rémoulade » comme aurait dit Céline. Chaque cliché joue sur des oppositions entre premier plan et gros plan afin de souligner un décalage que la morale (douce) ne peut que réprouver. Pour autant Burri ne fait qu'illustrer les impostures qu’il scénarise habilement. L’étrangeté espérée et explosive n’est qu’un baume, un cataplasme ou un affalement dans l’orthodoxe. D’où les succès de photos « main-street » où tout semble montré mais où rien n'est dit.
A la question de savoir qu’est ce qu’une image ouvre ? La réponse est facile dans ce cas : rien. L’opposition entre le mal et le bien est totalement faussée et tourne (comme le lait tourne) en spectacle léché. Burri semble regarder en esthète le « mal » qu’il dénonce. Le manichéisme devient un système narratif plus séduisant qu’iconoclaste. La photographie ne soulève aucune obscurité et se contente de regarder complaisamment les miasmes qu’elle prétend dénoncer. A l’exemple des golfeurs d’Oman qui suivent le trajet de leurs balles sous fonds de raffineries le cliché se veut infernal mais sa force est plus spectaculaire qu’inquiétante. Reste un sophisme visuel. La séduction n’appelle en rien l’altérité critique. La surdité visuelle élimine tout crissement du réel.
Jean-Paul Gavard-Perret
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