23/02/2014
Lifang : la nudité n'est pas un songe
Lifang, "Les rochers sont les racines des nuages", Red Zone Genève, mars-mai 2014.
Dans la période d'ordre moral qui préside encore à l'ère post-collectiviste chinoise Lifang fait figure (comme Ai WeiWei qu'elle défend) de décadente. Le nu est au centre de sa recherche. Pour autant le voyeur n'est pas ici en territoire conquis d’autant que l’artiste renoue avec une tradition chinoise peu encline à la dénudation vériste. Le voyeur peut être toutefois conquis par le "territoire" de peintures inspirées par des photographies d'internautes qui se montraient dans le plus simple appareil pour défendre Ai Wei-Wei accusé de pornographie.
Néanmoins plus que faire l'éloge du corps nu l'artiste souligne sa "choséité". On discute d'ailleurs parfois les mérites supposées ou non d'une telle approche mais aussi de ses modèles…. Se pose toutefois la question centrale de la peinture de nu : qu'ouvre-t-elle ? Un autre artiste chinois (Pang Guohua) affirme que le nu permet de voir comme on n'a jamais vu. Lifang est plus réservée : son approche est éloignée des nus d'un Hopper par exemple. Le corps est ici constitué de carrés : ils caviardent autant qu'ils montrent la nudité. Disons qu'ils la suggèrent en marquant un temps de l'histoire chinoise sans que les fantasmes repoussent comme du chiendent. Chez Lifang il existe toujours moins d’insistance que de délicatesse : ou si l’on préfère au plaisir qui tue l’artiste opte pour la douceur qui fascine.
Jean-Paul Gavard-Perret.
09:41 Publié dans Femmes, Genève, Images, Monde | Lien permanent | Commentaires (0)
22/02/2014
Sophie Taeuber : ouverture des lignes, ironie de l’Histoire
Sophie Taeuber-Arp, « Heute ist Morgen », 23 aout 2014 – 16 novembre 2014, Aargauer Kunsthaus.
Jean Arp dans « Jours effeuillés » évoque le travail de sa future épouse Sophie Taeuber (née à Davos et décédée à Zurich) : « En décembre 1915 j'ai rencontré à Zurich Sophie Taeuber qui s'était affranchie de l'art conventionnel. Déjà en 1915 elle divise la surface de ses aquarelles en carrés et rectangles qu'elle juxtapose de façon horizontale et perpendiculaire. Elle les construit comme un ouvrage de maçonnerie. Les couleurs sont lumineuses. Dans certaines de ses compositions elle introduit à différents plans des figures trapues et massives». Dès lors dans son œuvre l’absence établit sa souveraine adorable évidence. Mais l’inverse est tout aussi vrai. La pensée se construit par la création d’une poésie plastique forgée de courants profonds et épurés. Ils prouvent que toute formule est impossible et qu’il n’y a pas de règle. Sinon qu’à chercher trop de précision la vérité s’éloigne. Surgissent à sa place des densités déviantes qui prennent de la hauteur tout en se chevillant au support ou dans l’espace où elles se cristallisent. Chaque élément grouille, agité d’un mouvement « particulaire » qui le relie aux autres. L’image n'adhère plus aux apparences du monde, elle décale le motif, provoque un décrochement visuel et en écho vertige et fascination. Est atteint une forme de perfection, de pureté et d’ouverture des lignes. Tout un travail amont d’artisanat prépara à une telle ascension récupérée il y a quelques années par la Banque Fédérale qui dans un coup de pied de l’âne accorda à l’iconoclaste une reconnaissance paradoxale.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:45 Publié dans Culture, Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (1)
20/02/2014
Les phasmes de Marco Delogu
Marco Delogu, Espace JB (Jorg Brockmann), Carouge-Genève, du 5 décembre 2013 au 28 février 2014.
Nous ne briserons jamais certains de nos liens : ceux dont nous ne pouvons nous défaire sont la brisure même. Elle apparaît dans l’œuvre de Delogu en pluie d'écume noire tels l'ineffable, l'ineffaçable et l'entraperçu. L’artiste permet de les deviner par l'interstice de l’ombre.
Indivisibles égarements, sillons, écharpes : le noir est promesse de blanc comme le soir est promesse d'aube. Ce qui est le plus caché devient le plus éternel. S'agit-il d'un trompe-l'œil ou d'une tentation ? Nul ne peut le dire mais la photographie avec Marco Delogu, dans ses jeux d’ombres, donnent à l'espérance sa dernière aurore. Elle mange le réel. Il reste affirmé dans le noir qui l’engloutit mais afin de rejeter l’ombre pour la proie. Chaque photographie rompt le silence de l'origine, fonde un aval du temps comme elle construit le monde sur des échos. Le désert de l’image devient nourrissant. Il s’agit d’une disponibilité non sommaire. D’où la nécessaire perte de repères afin d’élargir le mystère plus encore que d’en espérer une connaissance dans un temps nocturne, en son flux persistant et sa dispersion insistante.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:41 Publié dans Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)