13/08/2014
Les espaces soufflés de Chloé Fehlmann ou les architectures du chaos
Chloé Fehlmann ne duplique jamais du semblable. Elle n’offre pas plus un rituel de la ruine mais une manière de revisiter l'espace. Dans un imaginaire aérien, blocs, voûtes plus ou moins effondrées, cryptes et galeries souterraines, corridors creusent et développent les volumes aériens par une expression plastique où le vide comme le plein est corrigé sans le combler de ses habituelles bourres et repères cartographiques. Toute une scénographie traverse le support. Il reconvertit l'espace selon des édifices aux propositions puissantes mais non violentes.
Ils traversent le temps, les cartes et leurs territoires. Le regard y oublie ses repères habituels. Il est absorbé ou attiré par des suites de meurtrières qui sortent par les yeux les racines de nos conduites forcées. Des veines noires jaillissent et segmentent l'espace. Elles deviennent les intermédiaires de la lumière et du souffle. Celui-ci gonfle l’écart entre l'être et le monde. La broderie des formes ressemble à des vols d’oiseaux. Ils traversent le vide et dévorent l’air. Ces envolées en de multiples sens échappent à la terre et offrent un racket figuratif. Il permet d'échapper au réel comme au néant.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:59 Publié dans Genève, Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (2)
12/08/2014
Celle qui a renoncé au monastère et qui aime la Suisse : entretien avec Irina Rotaru.
Irina Rotaru ramasse le chagrin ou le sourire qui tombent pour les transformer en rire. Elle traverse l’art du temps telle une passagère clandestine. Ses dessins sont souvent érotiques mais l’artiste n‘a pas vendu son âme à la luxure. Le rire sexuel qu’elle ose est parfois au bord des larmes. Mais ses femmes veulent que leurs flammes restent de glace et que leur neige se transforme en brasier. Quant aux hommes ils ne se séparent jamais d’eux-mêmes, de leur singe savant et leur cordon ombilical. Dans tous les cas en de tels dessins c’est le silence qui parle. Bref Irina Rotaru montre ce qui dérage : l’autoérotisme, l’amour tarifé (où la soumise n’est pas celle qu’on croit) et la pure dépense. Ses dessins connaissent le tranchant des incisives mais les caressent de l’intérieur. Ce sont un langage codé qui n’a plus besoin de mots.
JPGP.
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? Le réveil
Que sont devenus vos rêves d’enfant ? Les prémisses de l'imagination
A quoi avez-vous renoncé ? Au monastère
D’où venez-vous ? D'Allemagne et de Roumanie
Qu'avez-vous reçu en dot ? Une blague avec une tortue que très peu comprennent
Qu'avez vous dû "plaquer" pour votre travail ? Un chien
Un petit plaisir - quotidien ou non ? Du chocolat, une banane
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ? Tout
Quelle fut l'image première qui esthétiquement vous interpela ? Un poster dans la chambre de mes parents avec le tableau Sybille de Clèves de Cranach l'Ancien
Et votre première lecture ? « Le Château » de Kafka
Comment pourriez-vous définir votre travail sur le corps féminin ? Je suis une femme quand je dessine le corps masculin, je suis un homme quand je dessine le corps féminin
Quelles musiques écoutez-vous ? Une question très personnelle, la liste serait trop longue
Quel est le livre que vous aimez relire ? « La Danse de mort » d’August Strindberg
Quel film vous fait pleurer ? « L'année des treize lunes » de Fassbinder
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ? E.T.
A qui n'avez-vous jamais osé écrire ? A quelqu'un dont je n'ai pas l'adresse
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ? La Suisse
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ? Ceux qui étaient ou qui sont dans une évolution constante
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ? Un grelot
Que défendez-vous ? L'humour
Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"? Que l'art et l'amour c'est pareil
Que pensez-vous de celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?" Diarrhée intellectuelle
Quelle question ai-je oublié de vous poser ? Y a-t-il seulement des mauvaises réponses ou y a-t-il aussi des mauvaises questions?
Entretien réalisé par Jean-Paul Gavard-Perret le 10 août 2014.
14:47 Publié dans Culture, Femmes, Images | Lien permanent | Commentaires (4)
11/08/2014
Les folles sagesses d’Isabelle Guisan
En attendant - comme chacun - son exécution capitale Isabelle Guisan poursuit une œuvre ouverte sur les autres et le monde en toute discrétion. Libre, aux Pater austères elle préfère les Ave Maria qui « sonnent » en textes intimes et drôles et en collages des plus fascinants. Ses travaux demeurent l'inverse de la bamboche masculine. Ils permettent d’affronter nos cauchemars et nos fantasmes. Images et textes forgent le vrai pour exalter l'artifice et garantir des moments parfaitement inutiles où l’œuvre préserve un sens du concret que la Lausannoise ne confond pas avec celui de la réalité. D’où ces rendez-vous figuraux qui ne sont en rien de vagues aspirations à la rêverie et à l’érotisme. Aux fragrances d’alcôve est préféré le parfum de l’humour par le jeu du collage. Sous ce mode ravageur la créatrice remet en question les narrations sentimentales. Elles brouillent les cartes du tendre loin des salamalecs libidinaux et par différents glissements astucieux et prégnants. Images et textes deviennent les icônes d’un anti-conte de fée. Il fait place à un compte de faits d’un passé révisé hors de l’illusion comme du dédain. Les hommes ne sont plus des avortons planeurs qui s’installent dans la carlingue d’un corps féminin comme des bouddhas sur leur lotus. Ils échouent en off des images au profit de sylphides plus ou moins négligentes de leur destin. Loin d’idéaux à efficacité mécanique, l’art d’Isabelle Guisan prouve que celui peut combattre l’indigence de l’existence et du temps qui passe. Chatouillant sous les branches les saules pleureurs elle les tord de rire en développant des narrations subtiles où la force de gravité fait salon.
Jean-Paul Gavard-Perret
12:04 Publié dans Femmes, Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)