25/04/2015
Isa Melsheimer et la poussière sous les tapis
Isa Melsheimer, Galerie Mark Muller, Zurich
Le travail d'intervention et de création d'Isa Melsheimer peut apparaître assez simple : invitée dans un lieu d'exposition elle l'habite et l'habille afin de créer un autre esprit du lieu. Néanmoins pour changer le regard l'artiste use de point de référence et de culture pour raffiner l'espace jusque dans les détails. il se peut en conséquence que cela échappe au regardeur primesautier ou désinvolte. Sous l'apparence "brute de décoffrage" s'instruit le moment une chaîne qui rejoint le passé au futur et dont chaque exposition devient la convergence provisoire. Ce moment l'artiste l'a précisé : « À mes yeux, l’art ne peut que clarifier ce qui existe déjà. Pas seulement au sens d’une idée d’harmonie ou de beauté. Mais au sens réel de la clarification. » L'artiste ne cesse donc de renverser autant ce qu'elle créé que le monde. Derrière le vernis ou le voile elle cherche les faces cachées, souterraines, maquillées, oubliées. Katrin Wittreven a justement écrit à son sujet "Comme un ouvrier gratte les peintures des murs pour en dévoiler les sous-couches, Isa Melsheimer identifie, découvre, isole les incongruités pour mieux les décrypter".
Lors de la création par Norman Foster du Musée d’art contemporain de Nîmes l'artiste a visité carcasses et structures pour scénariser un monde interlope du dessous du décor. Isa Melsheimer aime faire de son art l'équivalent des films de série B au cinéma. Mais pas n'importe lesquels : ceux qui renversent la logique de l'espace, sa gravitation et donnent à voir des cités englouties, des mondes perdus. L'artiste les revêt de broderies, les couvre de cire fondue, de béton, les réduit en maquettes, les habile de matelas, lits, vêtements qui à la fois révèle le monde mais marque tout autant sa dégradation. De tels objets ramènent a un inconscient personnel ou collectif théâtralisé en jeux d’échelles, inversion, empilements de tissus, rapiéçages. Surgit le musée aux puces d'une utopie rêvée mais qui n'aura jamais lieu (comme l'appartement futuriste commandé au Corbusier par Charles de Bestégui en 1920). Tout pour Isa Melsheimer devient un prétexte à caresser les rêves les plus fou mais en montrant l'éphémère et l'illusion de toute production humaine - artistique ou non.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:45 Publié dans Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
23/04/2015
Valentina Seidel l'intransigeante
Valentina Seidel, « Eigen Brot », 96 p., Fotohof, Salzbourg, 2014, et « Exchange: Portraits with Artists », 124 p ., Idem. Joachim Brohm, Valentina Seidel, "NOT A HOUSE / BUT A FACE », Fotohof, : 2 mai - 13 juin 2015
Il existe dans toutes les photographies de Valentina Seidel une forme de mélancolie. Pour autant l’artiste ne la cultive pas. D’autant que dans ses portraits de femmes elle tord le cou aux fantasmes, tout (peut-être) en les attirant mais de manière indirecte et sans complaisance. La préoccupation du cliché en tant qu’aire de contemplation et de méditation demeure centrale et remet le statut de la féminité au centre de l’oeuvre. Par une esthétique de la chair surgit la quête de l’intime partiellement marqué d’un certain naturalisme.
Sans souci de psychologisation les photographies traquent le prétendu marbre de l’identité. Sous la théâtralisation sobre de la prise se cherche la figure profonde qui demeure cachée. Le portrait reste néanmoins un bunker des solitudes. S’y glissent les 21 grammes d’âme dans la vie du corps. Le regard tourne autour de lui, l’interroge. La femme est « prise » sinon avec une certaine froideur du moins sans le moindre tropisme lyrique. L’épreuve photographique crée un espace de silence et de doute. L'intimité révélée/cachée possède une dimension universelle. En surgit une émotion particulière. Lié à sa « viande » (Artaud) le corps lui échappe même lorsque celle-là est abondante ou meurtrie. Elle rend la photographie plus ardente mais sans complaisance envers son objet comme envers celle ou celui qui le regarde. Pas de confort, de château fort. Surgit la tension entre l’étouffement et la poussée selon une poésie où l’empreinte radicale succède à l’emportement.
Jean-Paul Gavard-Perret
15:08 Publié dans Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
Pierre Schwerzmann le minimaliste intégral
Pierre Schwerzmann, Boabooks, Genève, CHF 72.
Pierre Schwerzmann ne croit pas à la spontanéité du geste. Il travaille beaucoup, détruit sa facilité. De toute figuration il ne retient que l’essentiel. A savoir juste ce qui empêche l’image de basculer dans le néant. Demeure dans ses peintures et ses photographies les traces et les lignes essentielles qui échappent à la narration au profit d’une émotion dégagée de tout pathos. Les effets d’ellipses iconographiques provoquent une rythmique puissante au sein d’expérimentations de limites. La fixité est trompeuse. Tout peut toujours se détruire pour être recomposé de reprises en reprises, de montages en montages au minimalisme dont la rigueur s’accorde à un absolu plastique.
Le dépouillement, le monochrome sous leur austérité inscrivent une lumière étrange. La surface apaise mais en même temps elle remue. Elle instaure un désir de regard et fait éprouver des sensations contradictoires au sein de pulsations et de mécaniques d'oppression et de jubilation de la langue plastique en sa musique du silence. Des suites de lignes jouent de l'insistance et de la délicatesse. Les formes ferment et ouvrent avec, chez leur créateur, l’esprit d'analyse et de synthèse. C'est la marque d'une lucidité qui ne se satisfait pas d’elle-même et laisse libre court à la poésie. Plus Schwerzmann prend de risques plus son art devient la manière d’être au milieu de la nuit pour signifier le jour.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:39 Publié dans Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)