23/04/2015
Valentina Seidel l'intransigeante
Valentina Seidel, « Eigen Brot », 96 p., Fotohof, Salzbourg, 2014, et « Exchange: Portraits with Artists », 124 p ., Idem. Joachim Brohm, Valentina Seidel, "NOT A HOUSE / BUT A FACE », Fotohof, : 2 mai - 13 juin 2015
Il existe dans toutes les photographies de Valentina Seidel une forme de mélancolie. Pour autant l’artiste ne la cultive pas. D’autant que dans ses portraits de femmes elle tord le cou aux fantasmes, tout (peut-être) en les attirant mais de manière indirecte et sans complaisance. La préoccupation du cliché en tant qu’aire de contemplation et de méditation demeure centrale et remet le statut de la féminité au centre de l’oeuvre. Par une esthétique de la chair surgit la quête de l’intime partiellement marqué d’un certain naturalisme.
Sans souci de psychologisation les photographies traquent le prétendu marbre de l’identité. Sous la théâtralisation sobre de la prise se cherche la figure profonde qui demeure cachée. Le portrait reste néanmoins un bunker des solitudes. S’y glissent les 21 grammes d’âme dans la vie du corps. Le regard tourne autour de lui, l’interroge. La femme est « prise » sinon avec une certaine froideur du moins sans le moindre tropisme lyrique. L’épreuve photographique crée un espace de silence et de doute. L'intimité révélée/cachée possède une dimension universelle. En surgit une émotion particulière. Lié à sa « viande » (Artaud) le corps lui échappe même lorsque celle-là est abondante ou meurtrie. Elle rend la photographie plus ardente mais sans complaisance envers son objet comme envers celle ou celui qui le regarde. Pas de confort, de château fort. Surgit la tension entre l’étouffement et la poussée selon une poésie où l’empreinte radicale succède à l’emportement.
Jean-Paul Gavard-Perret
15:08 Publié dans Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
Pierre Schwerzmann le minimaliste intégral
Pierre Schwerzmann, Boabooks, Genève, CHF 72.
Pierre Schwerzmann ne croit pas à la spontanéité du geste. Il travaille beaucoup, détruit sa facilité. De toute figuration il ne retient que l’essentiel. A savoir juste ce qui empêche l’image de basculer dans le néant. Demeure dans ses peintures et ses photographies les traces et les lignes essentielles qui échappent à la narration au profit d’une émotion dégagée de tout pathos. Les effets d’ellipses iconographiques provoquent une rythmique puissante au sein d’expérimentations de limites. La fixité est trompeuse. Tout peut toujours se détruire pour être recomposé de reprises en reprises, de montages en montages au minimalisme dont la rigueur s’accorde à un absolu plastique.
Le dépouillement, le monochrome sous leur austérité inscrivent une lumière étrange. La surface apaise mais en même temps elle remue. Elle instaure un désir de regard et fait éprouver des sensations contradictoires au sein de pulsations et de mécaniques d'oppression et de jubilation de la langue plastique en sa musique du silence. Des suites de lignes jouent de l'insistance et de la délicatesse. Les formes ferment et ouvrent avec, chez leur créateur, l’esprit d'analyse et de synthèse. C'est la marque d'une lucidité qui ne se satisfait pas d’elle-même et laisse libre court à la poésie. Plus Schwerzmann prend de risques plus son art devient la manière d’être au milieu de la nuit pour signifier le jour.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:39 Publié dans Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
22/04/2015
Joachim Brohm et la chute des temps
Joachim Brohm est un photographe particulier du paysage. Il n’en retient que la perte, son envers ou ses restes comme si de la planète il ne conservait que la catastrophe selon une vision « décadente » dans laquelle la notion de reportage se transforme en poétique de la ruine. Du monde urbain ou agricole ne sont restitués que les ravages en une saisie de l’envers et du revers du "décor". Dans tout ce qui est abîme le photographe trouve du grain à moudre. Tout le paradoxe de son art est là : l’ « objectus » (le jeté devant nous) est donc « proferre » (porté en avant) afin non d’y découvrir une pulsion mortifère mais l’obligation de penser le réel tel qu’il est.
Joachim Brohm est arrivé là par un long processus de murissement et de ressassement. Ne reste que le crépuscule du monde consumérisme auquel la force des images donne une densité qui s’achève invariablement dans le feu, le vide ou le courant d’air. Montrant ce qui est mis à l’écart l’artiste replace paradoxalement le paysage dans le temps, gagne un peu sur lui en une explosion d’instants reliques de tout ce qui arrive et n’est pas forcément réjouissant - euphémisme !
J-P Gavard-Perret
Joachim Brohm, « Typology 1979 », MACK éditions, 2014
Joachim Brohm, Valentina Seidel : "Not A House / But A Face", Fotohf, Salzburg, 1er mai - 13 juin 2015.
15:51 Publié dans Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)