01/06/2015
Mai-Thu Perret et la passion de l’ouverture
Mai-Thu Perret, « Moon Palace », 28 mai- 18 juillet 2015, Blondeau & Cie, Genève (en collaboration avec la Galerie Francesca Pia, Zurich).
La démarche de Mai-Thu Perret reste toujours à l’écart d’un contexte précis afin de donner à ses emprunts un supplément de valeur générale. Ses œuvres récentes poursuivent le questionnement du monde par la création d’images à partir de littérature, la poésie, le constructivisme, le design, l’artisanat, les arts appliqués ou les religions. Celle qui a accompli des études de littérature à Cambridge avant de se tourner vers les arts plastiques, a travaillé à New York (entre autres dans les ateliers de John Tremblay et Steven Parrino) puis au Nouveau-Mexique avant de revenir depuis quelques années à Genève. Si l’écriture comme l’influence américaine restent fondamentales dans l’œuvre, optiquement elles en ont quasiment disparu. Refusant un art où la personnalité de l’artiste paraît de manière intime Mai Thu Perret cultive la distanciation selon la formule abrupte et dont il faut prendre garde « la machine fait l’art ».
Pour preuve l’œuvre possède un côté magique (et parfois quelque peu « cinétique ») sous couvert de minimalisme. Le travail doit tout à l’artiste. Avec « Moon Place » elle associe de grandes tapisseries de haute lisse, des reliefs et une sculpture en céramique, et une sculpture en rotin. Tout reste énigmatique. L’artiste de l’extraterritorialité y est poussée à entretenir une fois de plus l'obsession pour la vie à travers des formes simples mais particulières qui ne cherchent à entretenir les fantasmes ou l’ornemental (dont l’œuvre est la critique). L’artiste mêle le délicieux et le transgressif. Elle feint d’assouvir le plaisir pour mieux circonvenir l’objet du désir. Manière peut-être d’éviter que le coït artistique devienne chaos et qu’une fusion mystique apparaisse là où elle n’a rien à faire.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:22 Publié dans Femmes, Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
31/05/2015
Simon Rimaz et la photographie "pure"
Simon Rimaz, « Picturoïde », Forma Lausanne, 22 mai - 18 juillet 2015.
Simon Rimaz sort souvent la photographie de ce qui est sensé en faire l’essence à savoir l’objet ou le sujet à « reproduire ». Le Lausannois cherche parfois le dépouillement afin d’atteindre une imagerie « pure », dégagée de son contexte, dans le simple jeu des ombres et de la lumière, des volumes et de l’espace. La série « Repli» est le fruit d’une expérimentation de la numérisation et du scanner : la machine en marche est surprise par des miroirs placés sur la vitre. Elle semble renvoyer l’image à sa source en révélant divers jeux d’angles plus ou moins virtuels.
Dans «Candela» l’intensité lumineuse surgit du métal incandescent coulé dans un tube pour qu’il glisse dans la chambre noire d’appareils photographiques dont les optiques ont été retirées afin que le remplissage puisse avoir lieu. Durci, le plomb crée des formes étranges, légères et denses qui révèlent le cœur du lieu de la « fabrication » de l’image. La série « Shroud » est formée de photogrammes dont l’espace est celui de l'atelier. De telles œuvres combinent matière et expérimentation afin que l’image reprenne ses droits là où se dissolvent les rapports spatiaux traditionnels. Tirées de l’anecdotique les compositions proposent un espace subjectif. Il obéit moins à l’objet traditionnel de la photographie qu’à un travail aux préoccupations plus larges et ambitieuses où la représentation échappe au moulage du réel puisqu’un autre « bain » de révélation a lieu.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:25 Publié dans Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
30/05/2015
Emilie Jouvet et la subversion identitaire
Emilie Jouvet, Centre d’art contemporain, Genève du 11 au 17 juin 2015.
Emilie Jouvet ne se fie pas à la nature éthérée et ineffable des arts visuels. Tout pour elle dans le champ de ce qui se nomme « amour » semble une histoire de « mécaniques » avec pignons et cardans corporels au régime qui n’ont rien de binaire. L’artiste les met en mouvement avec un seul mot d’ordre : prendre par rebours les présupposés génériques. Cette approche ouvre à une poétique nouvelle. La réalisatrice détourne les images classiques du désir à travers les mouvements queer, féministes, post-porn, etc., ses portraits intimistes et ses mises en scène radicales. « One Night Stand » - premier film transgenre francophone - comme « Too Much Pussy! Feminist Sluts in the Queer X Show » - roadmovie à valeur documentaire sur le mouvement féministe « sex-positive » - modifient les codes en réunissant le sexuel et le politique.
La cinéaste présente au Centre d’Art Contemporain de Genève des courts métrages queer, conceptuels ou expérimentaux réalisés ces quinze dernières années dont « Mademoiselle ! » sur les violences verbales et physiques envers les femmes dans l'espace public, « BLANCX » vidéo performance détournant un geste du quotidien et déconstruit les codes du porno mainstream ou « The Apple », histoire revisitée d'Eve plongée dans un paradis sans Adam ni serpent mais chargé pommes. L’artiste propose aussi sa monographie « The Book » (Editions Wormart) où est présentée une série de photographies sur le désir et l’intime des « invisibles » (masculin et/ou féminin). Le spectateur est « contraint » de sortir de la fascination et de la sidération institutionnalisée de la sexualité. Ce qui jusque là était tenu caché sort des ténèbres. S’y substitue une lumière troublante que la créatrice met en tension jusque dans le chiasme des solitudes.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:32 Publié dans Femmes, Genève, Images, Résistance, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)