22/08/2014
Lorsque Fanny Gagliardini met le voile
Dégageant l’illusion de représentation figurale ou abstractive, Fanny Gagliardi ni crée uneneutralité constituée de plages recouvertes d’un écran de fine toile de lin. Ces plages sont celle du châssis peint sur lequel l'artiste place parfois un miroir. Dans un jeu de peinture, réfraction et lumière l’œuvre devient un objet mystérieux. Entre effacement et apparition l’image touche une forme de cérémonial comme dans l’œuvre intitulée "Hommage à Jacques Chessex" dont la surface voilée de noir émane le châssis en forme de croix. L’œuvre la plus simple et sobre devient sacrée voire sacrificielle ou cérémonielle. L’artiste sort le voyeur du théâtre des leurres afin de faire surgir une intimité étrange en une paradoxale matérialisation ou « corporéisation ». L’image-peau devient carnassière sans pour autant porter à une adoration ou à un charme irréfléchi. L’œuvre ne témoigne pas seulement d’un plaisir de montrer mais de toucher à l’impalpable devenu effet de matière.
Maniant la douceur comme l’énergie capable d’agir sur le regardeur la Genevoise modèle la volupté d’une masse improprement inconcevable avant les expériences de Support-Surface. La créatrice les pousse plus loin au cœur d’une émotion paradoxale en un rituel quasi religieux à certains égards (et non seulement par effet de croix). Devant une telle “ fiction ” de l’art l’illusion n’est plus possible. Les sacs de “ peau ” montrent leur pâleur intérieure. Le voyeur assiste à la réalisation physique de figures de langage. Si l’artiste ramène à lui, celui-ci ramène à l’être en une procédure de contamination et d'ironisation de l’image redevenue figure de style plus que métaphore. Fanny Gagliardi ni creuse donc le doute dans l’ambiguïté construite afin de décapiter les évidences. A qui poserait la question : Qu’est-ce que le “ sujet ” dans l’œuvre ? il sera répondu que le sujet est avant tout la peinture elle-même : voilée mais dévorante en déliant les purs effets de réel comme de la spiritualité voire de la sensualité.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:26 Publié dans Femmes, Genève, Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
20/08/2014
Philippe Pache et l’appel des sirènes
Il y a ceux qui photographient les femmes et ceux qui les regardent. Parfois les deux ne font qu'un. Philippe Pache par exemple. Et vu le grand nombre de nécessiteuses qui se prêtent à son jeu on imagine qu'il use avec elle en toute parcimonie. Il saisit leurs formes, les scénarisant avant que le soleil se couche. Evoluant dans le temps au même rythme que ses égéries l’artiste est passé des jeunes filles aux jeunes femmes. Il saisit les plages de leur delta selon la nuit lumière du théâtre de la sensualité et de la féminité. Le mâle le contemple puisque le photographe lausannois en fait le captif, le ravi de la crèche. Dans le temps qu’il égraine - ou plutôt qu’il retient - et dans le « tant » dont il rêve l’artiste propose l’ici-même là-bas. Ether vague, chaire du monde. La visiteuse reste secrète. Elle est l’image la plus nue mais en abîme et mystère Le voyeur en reste fort Marie quel que soit le prénom de la nymphe ou de la sirène.
Il en devient l’enfant d’eau. Parfois le garnement. Mais qu’importe s’il pense mal. Il photographie bien. Pas question pour lui de déserter le fond des jupes dont il sort comme un peuple en lutte. En volutes son tango argent teint désormais l’âge de la maturité. Shootés en clair plus qu'en obscur ses modèles rendent néanmoins l’homme dubitatif tant elles paraissent improbables. Cassant les horloges et leur goinfrerie, le photographe clame l’absolu du corps. Parfois il jaillit d’une source d'eau vive. L’amour de telles images ne rend pas forcément la transe lucide mais il ne faut en rien bouder notre plaisir.
Jean-Paul Gavard-Perret
voir : www.philippepache.com
08:31 Publié dans Genève, Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
19/08/2014
Les faux sophismes de Jacqueline Benz
En 1999 Jacqueline Benz créa un objet aussi unique que réduit à sa simple expression artistique : Elle peignit une table qu’elle décapa ensuite « comme un acte de peinture qui s’est choisi un objet, puis y renonce et s’en retire ». La peinture arrachée de la table, ses restes rassemblés en parfait carré au centre du plateau proposent un tableau à l’horizontal... Néanmoins en dépit de cet aspect ludique l’artiste restait éloignée des coups à la Duchamp : son œuvre était le parfait envers du ready-made. Toutefois l’œuvre ne reçut pas l’accueil qu’elle méritait – sans doute victime de l’ostracisme qui touchait en francophonie l’art helvétique. Depuis l’artiste lausannoise n’a cessé de multiplier les entrées d’un abécédaire compressé et imprécis du savoir-vivre à l'usage des jeunes artistes comme des plus âgés.
Parfaite irrégulière de l'art elle le reprend de manière drôle et hybride tout en proposant une critique esthétique ou politique. Par exemple avec « le sourire de Moubarak » qu’elle colla dans les rues du Caire lors de la Révolution égyptienne. L’image rendait plus creux celui qui jusque là était pris au sérieux. Mais moins politique parfois l’œuvre révèle l’insondable même si Jacqueline Benz se veut plus artiste du réel que de l’indicible. Avec humour mais avec autant de finesse et d’élégance elle met en exergue ce qui se passe derrière les surfaces et les apparences. Adepte du culte des mots elle les sort de leur « caveaubulaire ». Elle tente de vaincre le pire en rappelant que la vie n'est pas qu'un leurre et la mort qu’un Shakespeare. L’œuvre reste donc le lieu où les mutations poétiques grésillent avec gourmandise. Elle représente aussi un ouvrage aléatoire et potentiel fait d’apories subtiles. Leurs divagations farcesques sont toujours plus sérieuses qu'il n'y paraît.
Jean-Paul Gavard-Perret
11:00 Publié dans Femmes, Images, Lettres, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)