01/09/2015
Dispositions de Donatella Bernardi
Donatella Bernardi, « Same same but different », Hard HatMultiples & Editions, rue des Bains, Genève, 17 septembre – 25 octobre 201
Le travail de la Genevoise Donatella Bernardi prend la forme d'installations éphémères, de performances et de publications. Fille d’un botaniste taxonomiste elle tente de résister aux classifications et très souvent mêle les sciences naturelles comme les vestiges du monde industriel aux arts. L’artiste n’est pas pour rien commissaire d’expo et enseignante (au Royal Institute de Stockholm). Elle aime des plans pour entrer dans ses comètes. Trop peut-être : théoricienne elle n’a pas l’alacrité d’une Fabienne Radi, créatrice elle n’a pas la puissance d’un Philippe Fretz à s’extraire des carcans qu’elle s’impose. Néanmoins son travail reste toujours passionnant. Donnant la parole aux objets qu’elle recueille comme aux documents qu’elle rassemble elle leur fait dire autre chose que ce qu’ils sont. A leurs langages premiers et par ses « dispositions » l’artiste permet d’identifier des situations intéressantes et qui dérangent. Ses travaux deviennent des tremplins vers l’avenir, des inscriptions fugitives.
Donatella Bernardi adapte médias et formats au gré de ses propos et de la localisation de ses interventions. Pour elle, création et critique vont de paire : la culture vernaculaire, un féminisme actif ouvrent une vue sur l’anthropologie, l’histoire des pouvoirs et leur colonialisme. « Hard Hat » propose - en une suite à « Morgenröte, aurora borealis and Levantin: into your solar plexus » à la Kunsthalle - Berne, 2015 - de découvrir les dernières recherches autour de la place de l’art dans l'histoire industrielle italienne. La firme Olivetti y tient une place centrale en tant que créatrice de « machines » propres à instruire une inscription particulière. Une série de conférences double l’exposition afin de situer les liens entre création contemporaine et utopie industrielle. Une fois de plus, à partir de la réalité immédiate Donatella Bernardi illustre ainsi combien le réel est instable, transitoire. Elle cherche néanmoins à lui donner des lignes de force au sein de ses destructions et reconstructions. Ni souvenir ni rêve ne remplacent la présence : voilà qui rend la mémoire dérisoire semble dire celle qui prouve comment la maison de l’être féminin n’est plus grâce à elle dans l’abandon. Elle est dedans. Une distance est prise avec les poncifs du temps.
Jean-Paul Gavard-Perret
11:18 Publié dans Femmes, Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
31/08/2015
Tristan Pigott : les petites choses de la vie
Toute la peinture de Tristan Pigott joue entre maîtrise et abandon, plaisir et ennui dans un monde apaisé et aérien et d’où émerge une profondeur cachée. Surgit une expérience sensorielle de la vie. Soudain l’âme devient tangible et pèse d’un poids : celui de la caresse du regard. Chaque peinture est habitée. Elle devient non un simple médium mais une méditation. L’œuvre organise d’étranges mariages entre des êtres et leurs occupations à travers de couleurs douces et souvent sous le signe du double.
Paradoxale, extatique mais aussi mélancolique et naturelle l’œuvre rappelle une certaine tradition américaine du portrait où s’inscrit une mythologie du quotidien non sans parfois une visée symbolique de ce qui grouille dans l’inconscient des « sujets ». Sous l’aspect réaliste émergent un imaginaire de construction et une grâce dans la mesure où l’artiste est capable de fluidifier des sentiments tels que l’ennui.
La peinture présente un miroir du temps sans souci de « prouver ». La sensualité rôde autour des formes plus ou moins ratées de jouissances et de plaisirs. La nudité elle-même pousse vers quelque chose d’autre que ce qu’elle est. Surgit toujours un élément peturbateur qui désaxe ce qui est établi. La fragilité d'un regard permet de s'extraire de la pure illusion comme de la simple transgression. Cela revient à accepter notre ignorance, à oser le saut vers ce qui échappe aux limites de la raison et du vécu.
Jean-Paul Gavard-Perret
11:20 Publié dans Images, Monde, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
29/08/2015
Adrien Chevallay : vers d'autres pactes de visibilié
Les "objets" d'Adrien Chevallay sont une source de perplexité systématique puisque l'éros et thanatos, la beauté et la laideur, le rebut et l'essentiel s'y conjuguent. Le « spontanéisme » apparent de ses créations n’a rien de naturel.. Chevallay pose le problème du voile et de la monstration. Tout repose sur le registre de l’ambivalence dans des approches parfois sophistiquées parfois brutes pour dégager du capiteux et du capiton. Le jeu du monstre, du rebut force le regard à se « tordre » là où la matière de rêve est détruite.
Chevallay ne cherche pas à théoriser son travail. Le très peu donne beaucoup et le beaucoup très peu. Et on a envie de dire à l'artiste : "Bien joué!" au moment où s'éprouve une joie enfantine et légère devant ce que l'art officiel tend à rejeter. Créer n’est pas plus séparer, défaire qu’ouvrir et exhiber. Une certaine « confusion » est de mise là où la dénudation devient une forme particulière de la nudité. Elle permet de refonder une relation particulière à l'art. Le "geste" de Chevalley ne répond plus à celui du voyeur qui voudrait s'émoustiller en faisant corps avec ce qui n'en a pas. Ici, du plaisir de la pensée à celui de l'art, un jeu de bande induit une fantaisie sarcastique et bouffonne qui renverse l'immuable ordre et l'importance des choses. L'œuvre ne se contente donc pas de témoigner du réel. Ou si elle témoigne c'est afin que chacun de ses éléments prenne dans son aspect d'évidence métaphorique une force, une puissance qui défient le réel.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:32 Publié dans Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)