07/04/2017
Les gisants debout de Christian Lapie
Galerie Pauli, « Le génie est un arbre sculptures bois et bronze et œuvres sur papier », Lausanne, du 23 mars au 13 mai 2017.
Chez Christian Lapie tout nous regarde et fait signe de vie : la mort elle même tombe comme un menhir foudroyé que l’auteur redresse à sa manière à la limite des terres brûlées. Jaillissent des empreintes d’hommes par le bois, le bronze et même sur papier. Le sculpteur cherche une sublimation dans une époque où souvent ne se conjuguent que le mou et le rien. Il a compris que pour faire surgir les ombres blotties et que sorte un sens noyé dans le silence il faut sans cesse faire œuvre de re-naissance. L’énigme de l’être émerge par un effort de germination alimentée par toutes les connaissances. L’auteur les puise chez les philosophes qui ont glané leur savoir au bord de l’abîme puisque c’est seulement là qu’il y a des choses intéressantes à dire et à montrer.
Faisant sienne la formule de Michel Camus « A l’infini, l’incendie », Lapie par sa technique, son regard, sa sagesse souffle sur les braises du magma des formes afin de leur donner consistance et - si l’on peut dire - rafraîchir la mémoire. Le noir des silhouettes devient celle du feu et le sculpteur cherche à unir ce qui est séparé : le soleil à la terre comme le jour à la nuit, le sommeil à l’éveil et la mort à la vie.
L’artiste ose avancer dans l’inconnu mais il n’est pas pour autant somnambule ou amnésique et il n’oublie jamais ce qui lui manque. S’il est encore et restera séparé de lui même il n’est pas seul. Son travail - parce que ce n’est pas un simple labeur - est une autre vie au cœur de sa propre vie : il tente de saisir le secret de notre « double » (et du sien).
Jean-Paul Gavard-Perret
14:46 Publié dans Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (1)
03/04/2017
François Cachoud romantique savoyard
Cachoud possède une manière particulière de consommer la lumière. Certes le conservatisme baigne encore sa conception du paysage. Mais si comme le disait Proust « la nature empreinte à l’art tous ses privilèges », celui-ci ne doit pas lui rendre la pareille. Cachoud a su devenir en conséquence un « abraseur » (Beckett) de la nature par effet de nocturne.
Croisant le réel et la force abstractive de la nuit il créa dans ses paysages nocturnes et par effet de buée une forme d’hybridation. La nature transparaît tel un champ magnétique d’une sensualité diffuse. Mais demeure aussi une puissance terrestre.
Ce double aspect prouve que Cachoud n’est pas dominé par le paysage là où la nuit n’est plus traitée comme épure spirituelle mais choisie pour sa condensation perceptive. A l’inverse il ne cherche pas à le contraindre même si l’œuvre tient de la recherche d’un parcours où le dépôt de la substance imageante se trouve déplacé du côté de l’effluve. Le lieu de la peinture instruit donc autant un retrait qu’une présence, un imaginaire que « du » réel. L’espace s’y enfonce sans devenir gouffre romantique. Non seulement la nuit permet de réorganiser le paysage, elle englobe le regardeur. Si bien que sa situation en est troublée. Le paysage devient ce que Bernard Noël nomme « un appelant ». Il préserve la taille de son mystère de retournement.
Jean-Paul Gavard-Perret
François Cachoud, « Les nuits transfigurées », Musée des Beaux-Arts dce Chambéry, du 1er avril au 17 septembre 2017.
20:43 Publié dans Culture, Images | Lien permanent | Commentaires (0)
Catherine Perrier : montages/démontages
Chez Catherine Perrier l’art devient roman mais loin de sa manière habituelle de raconter. Dans un travail de mémoire implicite l’artiste monte et démonte par coupages et assemblages de diverses matières afin de suggérer du non montrable selon une fausse ingénuité de vestale. Celle-là se fait l'intrépide chez la servante zélée de « turpitudes » pour la gestation d'une lumière tendre et ironique au sein même des dérives de la chair. Il se peut que l’âme se consume en ce feu qui brûle mais le corps trouve ainsi un passage. Il devient parfois un étrange matelas qui se titille, s'enfle et finit par exploser, si bien que ses images se disséminent sur une grande surface.
En dépit de la radicalité, l’humour garde ses raisons. L’artiste avec à propos mêle l'âme blanche aux noirceurs fascinantes du sexe. Elle devient notre semblable, notre soeur puisque c'est toujours dans l'équivoque que nous jouissons. L’œuvre se veut une succession des « fautes » commises sciemment selon une vision romanesque qui ne peut être clairement identifié. Mais c’est bien ce qui en fait tout son intérêt puisque l’artiste déplace les règles par divers corpus où se mêlent abstraction et figuration.
Existent la manière et la matière afin de mieux réintégrer un espace mémoriel. Bourgeade et Danielle Mémoire ne sont pas loin. A la différence près que le texte est remplacé par des « coquilles » recueillies au fil du temps. Si bien que l’artiste renverse le bain romanesque pour le remplacer par un « liquide » visuel où se mêlent différents niveaux de fictions et de références : enfances corpusculaires, fictions « frictionnantes » qui se réfléchissent sans cesse dans leur propre miroir et dans d'autres. Jaillissent aussi les passerelles entre un contre monde et ce monde-ci. Elles sont construites selon des lois rigoureuses et soumises à un puissant système d'octroi ; des corps y patrouillent de jour comme de nuit. Nul code, toutefois, n'en est établi par écrit.
Jean-Paul Gavard-Perret
16:04 Publié dans Femmes, Humour, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)