23/07/2017
Bruno Aveillan ou le voile qui dévoile
Portant l’imaginaire sinon vers l’absence d’image du moins à ses confins sous couvert d’une quasi « abstraction », Bruno Aveillan saisit le réel qu’il soit habité ou vide pour le métamorphoser. Se dégageant des phénomènes physiques le plasticien propose des rapports ou leur absence pour en donner une narration mystérieuse. Une diaphanéité hante ses œuvres. Elle est au cœur de la création. Aventurier de la lumière l’artiste propose des extases nues. Elles promettent l'ailleurs sans laisser l'ici, sans y laisser sa « peau ». Les repères bougent, s’ébranlent, révèlent autant des éloignements que des proximités.
Perturbateur Bruno Aveillan remue l’affect et l’intellect par ce qu’à la fois il découd et rassemble. Comme par exemple lorsqu’il incarne l’œuvre (inachevée) de Rodin « La Porte de l'enfer ». Il a scénarisé dans « Divino Inferno » (sur un livret de Z. Balthus) et entre autres des danseurs couverts de terre ou de plâtre pour suggérer la pierre initiale. Le documentaire se transforme en œuvre de pure fiction par un corpus repris et corrigé, épars et disjoint entre réel et imaginaire. La chorégraphie fixée et scénarisée dans une friche industrielle rameute par exemple des images sorties des cercles de l’Enfer de Dante. Mais au-delà du poète et du sculpteur Aveillan impose sa pâte lumineuse face à la poussière du monde : celui du désert comme des courts de Rolland Garros.
Dans cette fin (à savoir : but) des images, l’artiste n'est pas un métaphysicien raté mais un créateur accompli et à l’exigence démesurée. Il cherche une forme paradoxale de perfection. Elle foudroie en estompant tout ce qui est inutile. Manière pour lui comme pour tout artiste et comme l’écrivait Bataille "de ne pas finir en boutiquier avare, en vieillard débauché" mais de toucher à l'extrême. Aveillan initie des voyages au bout du possible, pour dire et montrer, jusque dans et par l'effacement programmé, un impossible, un invisible dans un affrontement avec le chaos dont il s'agit de tirer un perçu essentiel soustrait à toute perception étrangère.
Jean-Paul Gavard-Perret
12:41 Publié dans Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
Pelin Karagol l’entêtante
L’Ukrainienne Pelin Karagol crée des théâtres du corps féminin : il possède parfois la blancheur des cocons et une sensation de l’intouchable. Métaphore de l’amour (et non sans humour) il s’insère dans un ordre cérémoniel. L’artiste lui redonne valeur d’éclair d’énigme à fleur de vie ou de nourriture terrestre.
S’y caresse l’indicible mais s’y capte tout autant le foisonnement dans une expérience visuelle où chaque flaque apprend à nager en soi-même.Les femmes semblent appartenir aux limbes. Elles expriment une sensation de l'ineffable. A savoir de ce qui - étymologiquement - ne se parle pas, ne peut être verbalisé mais qu'on découvre dans les œuvres de l’artiste.
Mais il y a plus. Chez elle le désir est une expérience altruiste. Elle suppose au moment où le corps est montré/caché un effort d'affinement de la conscience pour accueillir en soi l'autre afin de prêter attention à son désir. Mais l’artiste montre combien l’exercice n'est pas une évidence. Il exclut les façons de "prendre" qui blessent, annihilent, étouffent.
C'est pourquoi Pelin Karagol tente de pacifier le désir soit en le recouvrant, soit par une caresse protectrice. L’artiste crée un étrange dialogue entre ses modèles comme entre son œuvre et ceux qui la contemplent. Il y a là une promesse d'un autre horizon, d'une autre aventure à la fois plastique mais aussi existentielle où le souffle engendre des silences.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:17 Publié dans Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
21/07/2017
Tina Merandon : paradoxes de l’apparition
Il existe toujours dans l’œuvre de Tina Merandon une puissance des formes et des couleurs. La photographe ne cherche pas à provoquer du fantasme mais divers jeux entre le subtil et le violent, l’arrogant et le secret là où - derrière la luxuriance - les images dessinent l’envers du miroir.
La créatrice propose une suite de « lieux » ou de « scènes » avec variation. Chaque pièce devient un appareillage qui circonscrit une zone de solitude ou de rencontre. L’artiste ne cherche aucune dramatisation, elle se contente de montrer une symphonie. L’espace est dilué, étendu mais aussi concentré par des mises en scène parfois drôles en particulier lorsque les animaux s’y insèrent.
Sous formes d’épures, des portraits « borderland » échappent à toute localisation précise et donne une sorte d’éternité à l’éphémère soudain figé qui devient un élément scénographique essentiel ouvert sur un inconnu. Les plans désynchronisent la représentation. Le visible disparaît en tant que tel au profit d’une mise en équilibre particulière. Certes une figuration demeure mais comme en trompe l’œil. En chaque photographie des « tableaux » deviennent des phénomènes indiciaires aussi subtils que dissonants.
Jean-Paul Gavard-Perret
http://www.tinamerandon.com/
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