07/10/2018
Lev Rubinstein l’irrégulier conceptualiste
Inventeur du genre inédit de « la mise en fiche », Lev Rubinstein se rapproche autant du pop art poétique américain, du surréalisme belge. Jubilatoire et incongru ce genre dont le titre n’est pas sans rappeler une méthode du KGB est celui d’un ancien bibliothécaire soviétique qui refuse le titre de poète. Hélène Henry subtile traductrice de ce livre remarquable précise d’ailleurs le projet de telles farces et attrapes. « Interrogé sur ce qu’il fait, il parlera de la nécessaire réflexivité de l’art, de la connivence de principe entre les arts graphiques et ceux du langage, de son intérêt pour tout texte qui n’est pas fiction ».
Lev Rubinstein offre de surcroît une vision nouvelle de la poésie russe. Il a su saisir la langue de la rue, celle des souverains poncifs bureaucrates et les vers officiels façonnés selon l’éthique ou la schlague des Maisons des Écrivains. Au besoin il les découpe et décortique puis les note sur ses fiches de bibliothécaire assemblées en divers inventaires selon « présupposés préromantiques », « si et signes », « Angelus poeticus » ou autres « Maman faisait les vitres ».
Les bristols sont de diverses longueurs - certains ne contiennent qu’un mot et d’autres sont vierges… Ils fomentent des jeux de cartes dont le matérialisme absurde se moque de toute logique. L’écriture devient une portion d’image qui a glissé au creux de l’oreille. Elle y fourmille. Les mots ne laissent plus croire que le jeu de société est sérieux. Dès lors l’anti-poète - mais pas antimoine - préfère « construire presque machinalement / Des situations mythologiques » dont l’objet est la sortie du « champ de l’automatisation ou de l’attachement émotionnel » de ce qui nous est donné comme acquis.
Jean-Paul Gavard-Perret
Lev Rubinstein, « La Cartothèque », traduit du russe par Hélène Henry, Editions Le Tripode, Paris, 2018, 288 p., 22 E..
16:33 Publié dans Images, Lettres, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0)
05/10/2018
David Lemaire "lecteur" de Luisanna Gonzalez Quattrini
David Lemaire, «Luisanna Gonzalez Quattrini. Accroupissements», art & fiction, Lausanne et Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds,2018, 24 CHF.
Réalisé à l’occasion de l’exposition "Accroupissements" au Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds (4 novembre 2018 - 3 février 2019) ce livre permet d’approfondir le travail de Luisanna Gonzales Martini. Née en 1972 à Lima, elle vit et travaille à Bâle. Elle a déjà présenté son travail dans plusieurs expositions - entre autres, à la galerie Bis Heute de Berne et au Swiss Awards, Messe Basel. David Lemaire est fasciné par les travaux immensesqu’elle réalise. Ils ont trait à la représentation mentale qui transforme le réel. Et cette question interpelle le directeur du Musée de la Chaux-de-Fonds.
Auparavant et en 2007 dans « Private garden » (Héros Limite), l'artiste publia de très courts récits aussi denses que fantasmatiques qui sont autant de souvenirs que des remarques elliptiques :« Pina veillait sur moi depuis que j’étais toute petite, dans mes rêves elle était ma mère. / Teófilo travaillait dans les jardins publics; aujourd’hui il n’arrose plus que mon jardin. / Antonia travailla durant cinq ans sans recevoir aucun salaire, elle avait demandé qu’on lui mette l’argent de côté pour après, il n’y eut jamais d’après. » Le principe de linéarité était abandonné au profit d’une utilisation visuelle des signes.
Les oeuvres plastiques de Luisanna Gonzales Martini fomentent des suites à de tels récits. Existe dans ces peintures un onirisme tendre fait de repentirs visibles avec des touches d'humour. Le regard est mis en équilibre instable entre diverses impressions. Tout tient en instance de la délicatesse persistante tant par les formes que les couleurs. Leur étrangeté joue entre présence et régression. S'y dévoilent une rélexion sur la peinture et une mise en rapport de l'image au monde.
Jean-Paul Gavard-Perret
14:15 Publié dans Femmes, Genève, Images, Lettres, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
Leur nom : « Venice » – Michael Greco
Depuis trente ans Michael Greco photographies les ovnis qui peuplent de « boardwalk » qui suit l’océan à Venice Beach. Tous ces personnages vivent à la fois ensembles et séparés. Ils remplissent et nourrissent les images de ce « ramblas » postmoderne non sans arrogance et pour exister. Greco s’en amuse mais sans impudence ni impudeur.. Il saisit la langue des corps en diverses poses et systèmes d’auto représentation.
Passant de Los Angeles à sa côte, comme Duras, le photographe pourrait écrire : « je traverse, j’ai été traversée » par ces présences dans l’endroit d’une exhibition qui peut accorder à certains le sentiment d’exister. Pas d’idéologie chez le photographe : juste la grammaire élémentaire des corps en une sorte de liberté et d’oisiveté d’une vie matérielle qui ne se soucie plus de ses acquis. Chacun y crée son propre « livre » comme s’il n’y en avait pas en dehors de soi.
Inconsciemment les corps savent que, sans s’exhiber, ils ne connaîtraient rien de la vie. C’est un peu mince diront certains. Mais le photographe ne juge pas. Ce qu’il suggère n’est pas du fantasme mais un excès de réel. La perception elle-même devient le rêve au moment où l'ici-même de ceux qui longent le Pacifique s'éteint au profit de l'ailleurs dans cette lumière de l’Ouest ultime. Elle porte toujours en elle le désir d'un aller plus loin.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:54 Publié dans Culture, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)