27/12/2018
Michel Houellebecq : du peps aux sans dents
A mesure que ses fictions s'égrènaient il semblait que Houellebecq allait renoncer au genre, quitter la critique politique et sociale pour s'intéresser au plus urgent : l'amour comme seule solution à notre destruction collective programmée. De l'amour il est donc question ici mais Houellebecq plutôt que d'abdiquer sa conduite forcée en remet une couche dans son "domaine de la lutte" et sur une "plateforme" qui devient celle d'un Carrefour normand.
Bref il n'a rien perdu de sa verve, de son humour. Il tire à boulets rouges - via son gilet vert sorte d'avatar annonciateur des gilets jaunes français - sur tout ce qui bouge. Les Hollandais sont opportunistes, les Anglais plus racistes "qu'un japonais", Freud le "charlatan autrichien" (De quoi ravir Onfray). On en passe et des meilleurs. Preuve que rien ne se délite dans le gris plus anthracite que perle de l'oeuvre. Pas question pour Houellebecq d'entrer un hibernation. Il s'agit moins de guetter l'éclaircie où les images jetteraient un rayon de soleil sur des paysages interlopes (la Normandie pluvieuse s'y prête mal, quoique avcec le changement climatique...) mais de saisir encore et toujours la solitude des existences. Toutefois le présent ne se contente plus de s'habiller de situations qui ne servent qu'à combler les jours trop vides où l'esprit, transi, se sent rapetisser. Ici le narrateur se rebiffe en une poussée plus ou moins adroite (euphémisme) de dégorgement.
Le roman se remplit de ces choses que l'on fait parce qu'elles sont là, mais aussi de celles qui pourraient être faites à leur place. La fiction se torche avec superbe selon une esthétique de l'outrance - marque de fabrique de l'auteur. Sa farce dépasse toujours les bornes de manière naturelle. Houellebecq est le caricaturiste suprême de nos faiblesses qui sont aussi les siennes. Car l'autodérision est omni présente. Elle donne à cette faconde anti-libérale sa force de réveil bien antérieure à toute "onto-typologie" chère à Philippe Lacoue-Labarthe. L'auteur lorsqu'il exprime sa "Nausée" ne le fait pas comme Sartre du haut d'un piédestal. Jaillit un mouvement d'empreinte et frappe qui soulève la surface au lieu de creuser sa tombe même si la désillusion reste infuse. Schopenhauer, Beckett et le Kafka du "Disparu" (jadis "L'Amérique") ne sont jamais loin. Comme chez eux la littérature n'est pas une représentation, elle est une empreinte de l'intime, de sa motion, de son agitation comme de sa passivité. Ce n'est pas la traduction d'un état d'âme mais de l'âme et du corps qui se mettent en tension, pression et dépression.
Jean-Paul Gavard-Perret
Michel Houellebecq, "Sérotonine", Flammarion, Paris, 1959, 352 p., 22 €..
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20/12/2018
Peter Knapp le sophiste amusé
Le portrait est un effet du langage et non de la psychologie. D'où l'intérêt de la sophistique iconique telle que Peter Knapp la crée. Sophistiquée, cette dernière est l'inverse de la rhétorique de l'image tels que les "grands" portraitistes américains de mode la pratiquent.
Pour Knapp photographier est un acte, une action, presque une performance (même si seule l'image qui est retenue compte). Mais jusque dans ses photos de commandes, pour un tel créateur la photo n'est pas simple démonstration, désignation ou "remontrance".
En ce sens le sophiste helvétique montre le langage . Face à lui le rhétotiqueur est un roi nu. C'est pourquoi Peter Knapp ne cesse même dans ses publicités d'indiquer "comment c'est fabriqué" au sein de ses angles narratifs. L'intéresse avant tout ce que Lacan nomme "varité" : vérité variée et parfois avariée afin que le dupée ne soit pas esclave de ce qui est montré.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:24 Publié dans Humour, Images, Médias, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
17/12/2018
Alexandre Léger : le droit de s'égarer
Maitre de l'art singulier, agenceur au besoin d'images et de mots, Alexandre Léger poursuit un parcours loin des sentiers battus et toujours en tentatives hirsutes d'un renouveau. Le geste prime, quelquefois brutal, mais maîtrisé et toujours en quête d'une figuration dont le souci de précision semble volontairement s'éloigner pour mieux se rapprocher de nous dans divers types de biais (collages et inserts compris).
L'artiste entrevoit dans tout, encore et toujours des bribes d'une humanité franche, quoique un peu violentée là où parfois un pistolet est prêt à faire feu de tout bois et souches. Chez lui vieilles idées se transforment sans prétention et les objets se métamorphosent. Ils s'animalisent au besoin mais comme si l'artiste semblait ne pas y prêter une attention particulière et sans heure précise. Mais à un instant particulier, émerge une réussite. Les traits créent déjà un humour particulier. Alexandre Léger les multiplie en les ajustant dans leur épaisseur, légèreté et élan.
Les dessins comme griffonés semblent finalement faciles mais comme sont « faciles » les pattes de dragons, les épaves ou encore les ruines peuplées par d’étranges fougères et qui au ciel ne sont que des nuages. En créant ses dessins l’artiste semble disparaître, être absorbé comme au plus profond d’un trou aux étranges reliefs touffus. Un chantier en cours remue bruyamment. La tête et les mains affolées le graphiste brise des astres lointains et créent des vagues. Elles questionneraient bien des marins et elles opèrent dans une forme d’apprivoisement d'une gestuelle. Au fil du temps elle est devenue familière, trouble, mouvante, résolument tournée vers l'expression des profondeurs aussi drôles que cachées.
Jean-Paul Gavard-Perret
Alexandre Leger – L’oeil dans la souche
« Refuge de Mariailles », Voix Editions, Richard Meier, 2018, 20 E.
16:07 Publié dans Humour, Images, Jeux de mots, Suisse | Lien permanent | Commentaires (1)