26/12/2020
Laurence Boissier : grands et petits moments de solitude
Laurence Boissier, "Inventaire des lieux", art&fiction, coll. SushLarry, Lausanne, janvier 2021, CHF17.80, 168 p..
Laurence Boissier poursuit un travail de sape aussi insolent qu'en demi-teinte et toujours avec humour. Elle explore des situations qui, quoique des plus communes, ne sont pas forcément faciles à vivre.
Occuper une baignoire à deux, assumer un plein d’essence, entrer sur une piste de danse reste a priori donné à tout le monde mais cela n'empêche pas certains écarts de conduite dont nous pourrions aisément nous passer. Mais l'esprit ou le corps possède d'étranges lapsus gestuels qui nous échappent et sont sans doute aussi révélateurs que ceux sur lesquels Freud mit le doigt.
Il est inutile probablement d'en faire une choucroute, mais dans ces moments là, l'émotivité nous rend non seulement inconséquents mais parfois ridicules. Et nous sommes ravis de trouver en la Suissesse notre soeur en maladresses. Elle devient la doctoresse mais aussi la patiente de telles situations dont elle fait un tour en laissant remonter ses propres souvenirs d’enfance, d’adolescence et de maternité. Cadrant les situations d'actes presque manqués elle met à nu nos états d'impuissance au moment où nous avons rêvé soit de jouer les autruches soit de prendre la fuite.
Capitaine de navigation au long cours aux commandes d'un charriot de la Migros dont les roues semblent suivre des courants opposés, entre flegme et dérision, l'auteure propose des situations à double fond : les pistes de stations essences ou celles de danse , les couloirs des super-marchés comme des métros. Reste néanmoins, une fois que nous avons évité la chute de nos corps et de nos dignités, de reprendre le cours de notre apparente réussite. Quitte à la surjouer.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:26 Publié dans Femmes, Humour, Lettres, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
25/12/2020
Thomas Vinau : le cave se rebiffe
Thomas Vinau nous laisse glisser dans une douce jouissance farcesque là où pourtant la dimension de catastrophe est loin d'être ectoplasmique. Le sombre héros du livre n'a rien de dionysiaque et c'est peut dire. Il vit ce qu'il estime ses derniers temps selon des spéculations hasardeuses mais tout autant possible depuis l'abîme de sa cave et de ses souvenirs.
Néanmoins Thomas Vinau ne cherche pas à instiller chez le lecteur la peur que son sombre héros éprouve. Il préfère s'amuser, étonner, troubler et faire rire dans cette parodie qui mêle l'apocalypse pour demain (au plus tard) et la difficulté de se réchauffer "les arpions".
N'est-ce pas, en se préoccupant d'eux - qu'ils aient les ongles incarnés ou non -, le moyen de déminer une situation paroxysmique et faire qu'en une fiesta loufoque se pratiquent des gestes barrières aussi vains qu'inutiles ? Thomas Vinau en ses spéculations romanesques propose donc les aventures autour d'une cave-chambre dignes d'un Xavier de Maistre - en plus fantaisiste : ici le cave se rebiffe. Enfin presque.
Jean-Paul Gavard-Perret
Thomas Vinau, "Fin de saison", Gallimard, Paris, 2020, 192 pages, 16 €.
13:07 Publié dans Culture, Humour, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)
19/12/2020
Dan Hayon : éloge de la mauvaise photo
La série « Hommage à Paula Rego » est créée à partir d’authentiques mauvaises photos. "Il est important de prendre de mauvaises photos" écrit l'artiste. Il ajoute "elles ont à voir avec ce que je n’ai jamais fait auparavant. L’authenticité est inestimable; l’originalité est inexistante." D'où cette approche d'une forme de collapsologie ou de ravage.
Chacun de ces ratages contient son propre secret sur un secret que l'artiste lui-même ignore. C'est pour cela que leur supposé "plus" nous en apprend toujours moins. L'artiste a modulé ces photographies en des collages dans lesquels l’humour - mais pas la dérision désobligeante - est présente.
C'est une manière - proche du surréalisme et de Ersnt - pour ne pas trop prendre le monde au sérieux. L'artiste lutte contre l'ennui mais pour participer à la décadence de l’homme d’aujourd’hui. C'est dit-il encore "une tâche divertissante et la seule qui m’intéresse". Mais c'est aussi un hommage à la Portugaise Paula Rego qui regarda le monde comme le fait Hayon : à savoir selon une radicalité qui se moque des prétentions à un art classieux et qui veut donner des leçons. Ici c'est au regardeur d'y loger sa propre interprétation.
Jean-Paul Gavard-Perret
Dan Hayon, « Hommage à Paula Rego », 2020, https://hayon.typepad.fr
15:27 Publié dans Culture, Humour, Images, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0)