28/06/2015
Les espaces perdus de l’imaginaire : L’art vs la ville
BIG, Biennale des espaces d'art indépendants de Genève, 26 – 28 juin 2015, Plaine de Plainpalais, Genève
En s’installant sur le site de Plainpalais le BIG souligne combien l’art dépend de toute une infrastructure pour vivre : l’imaginaire et les idées ne suffisent pas : il faut des lieux, des matériaux, de l’argent. C’est vieux comme le monde. Or l’art en gestation manque de liquidité surtout dans des villes riches (Genève, Lausanne Bâle, Zurich) où la spéculation bat son plein et fait main basse sur les lieux encore « hors d’usage ». Jusque dans les années 80 l’art pouvait squatter des espaces de friches : ils sont de plus en plus rares. Face à cette pénurie l’art est de plus en plus dépendant de subventions publiques (Genève comme Lausanne restent sur ce plan généreuses) ou privées.
Mais le combat est difficile : porter le désordre au sein de la ville est devenu une gageure. Les espaces en déshérence sont des raretés. La rentabilité et des systèmes de contrôles (nécessaires à la protection de l’ordre public) font que l’art alternatif a du mal à survivre. Il reste pourtant majeur : il est le signe d’espaces de sociabilités solidaires et permet l’émergence de formes inédites. Mais se produit désormais dans les grandes villes suisses ce qui se passe à New-York, Los Angeles, Londres. Tout projet doit donner des « garanties » aux autorités, aux investisseurs et aux usagers. L’idée est a priori bonne, justifiée mais fait passer la créativité au rayon des pertes et profits. Le muséable est préféré au risque.
L’objectif n’est pas de faire retour à une « urban jungle » mais de trouver la réanimation de foyers de création qui échapperaient aux audits de la ville postmoderne productrice de normes et d'interdictions. Il s’avère donc indispensable d’imaginer de nouvelles solutions. Devant les contraintes foncières et les nécessités réglementaires, il faut laisser la place à une frange plus informelle. L’activité artistique intempestive accorde à la cité son caractère d’expérimentation critique.
En ces temps de repli la culture alternative reste une nécessité et un rêve à intégrer aux cités postmodernes. Une certaine « illégalité » les réveille. Ce n’est pas forcément un problème mais une opportunité qui appelle au mouvement perpétuel. Les institutions traditionnelles ne peuvent les appliquer qu’avec un certain retard. BIG démontre qu’une biennale peut se dérouler hors les murs, l’art y prend l’air en cultivant une idée nouvelle de la démocratie. Elle ne se conjugue pas forcément avec le populisme mais avec un art ludique, vivifiant, hyperactif et stratégique.
Jean-Paul Gavard-Perret
(3ème image ; œuvre de Marion Tampon-Lajarriette au BIG 2015)
12:03 Publié dans Culture, Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
24/06/2015
Germinations de Ladina Gaudenz
Ladina Gaudenz oscille entre les chemins de l'abstraction et le tableau en tant qu’organisme vivant. On pourrait lui appliquer la formule de Cézanne à propos de Monet « Ce n’est qu’un œil, mais quel œil ! ». Derrière la feinte de l’abstraction et grâce à elle ses peintures et dessins restituent le monde selon des repères végétaux qui renvoient à la picturalité. L’artiste nous invite à regarder à l’intérieur de celle-ci pour voir ce qui s’y passe en faisant bien plus que « jeter un oeil dessus ».
Fortement structurées les œuvres jouent sans cesse entre figuration et abstraction en une sorte de Sabbat orgueilleux. A travers ses diverses séries surgissent des végétations aux couleurs mouvantes mais dans lesquelles souvent la monochromie domine. S’y mêlent le cosmos et le caillou, la surface et la profondeur en un travail subtil de la matière et des pigments afin que la peinture par couches de glacis successifs vibre et donne la marque stratifiée du passage du silence et du temps, c’est-à-dire la trace énigmatique de l’homme aussi archaïque que contemporain même s’il n’est jamais présent sur les toiles. Les « enchevêtrements » sont proposés à travers des techniques exigeantes pour que jaillissent l’éparpillement, la dissémination mais selon une unité profonde. Entre lyrisme et subtilité se retrouve une des problématiques passionnantes de l’art contemporain : le rapport qu’il entretient avec le paysage. Ladina Gaudenz le renouvelle et apporte sa contribution non négligeable à une conception plus large et plus complexe de la dialectique entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, ainsi que celle - plus vaste encore - entre l’imaginaire et le réel.
Jean-Paul Gavard-Perret
Galerie Luciano Fasciati, Süsswinkelgasse 25, 7002 Coire
12:58 Publié dans Genève, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
23/06/2015
L’image mouvement et la tentation du visible : Thierry Davila « lecteur » de Claerbout.
Thierry Davila : « Shadow Pieces (David Claerbout), Edition bilingue (français / anglais), 192 pages, Mamco, Genève, 2015, 28 €.
Chez Claerbout - et Davila le montre parfaitement - la Tentation du visible passe par excès d'ombre plus que de luminosité.Ce ne sont pas les choses vues qui donnent aux images de l'artiste une poussée créatrice. Elles ne sont pas faites pour commémorer ni pour rapatrier vers un Eden artistique. Elles ouvrent le monde une profondeur particulière. En aucun cas le créateur ne les réduit à de petits traités d’archéologie du fugace. Il écarte la tentation du raffiné en préférant l'épure d’un langage surprenant. Il nous ramène dans l’ici-bas de notre inconscient où s’ébrouent les multiples avatars encore non mis à nu de nos désirs, de leur revers et de la nostalgie insécable de l’origine dont Claerboult malaxe l’écume.
De plus, l'artiste a compris qu’il ne faut jamais rechercher le prétendu marbre de l’identité supposée de l'image (quelle soit mouvante ou fixe) mais sa terre friable. Celle-ci surgit dans le réel comme dans l’illusoire (du support écran ou page) au sein d’un jeu de piste dont on connaît ni le point de départ (est-ce la fameuse "nuit sexuelle" dont parle Quignard ?), ni celui d’arrivée. L'image chez le créateur belge ne mène pas où l’on pense accoster. Thierry Davila (entre autres historien de l'art et conservateur au Mamco) le montre. Il descend dans les arcanes de l’œuvre, là même où Claerbout n'a pas peur que le sol ferme lui manque et ne craint pas la perte de toute force de gravité. C'est sans doute pourquoi ses œuvres “ creusent ” le monde et font exploser les corps et les paysages qu’elles exposent.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:53 Publié dans Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)