28/11/2017
Stéfanie Renoma : le coup du charme
Jouant sur les faux-semblants et les artifices, Stéfanie Renoma "répond" aux appétits de se rincer l’oeil à travers les bains de jouvence de cérémonies énigmatiques. Les Vénus et les Apollon deviennent les acteurs d’un théâtre optique en luxe et voluptés. Narrations, mises en scène, prises de vue désaxées jouent du cynisme et du charme. L’exercice du désir n’exclut pas le sarcasme, mais l’ironie élargit la sphère de l’érotisme.
Sa « science » devient autant celle de la vie que l’imaginaire. Stéfanie Renoma crée ainsi son cinéma, sa farce sensuelle en retenant des instants « performatives » selon une spectacularisation programmée par la dialectique des récits et des formes.
Non seulement la photographie a du charme : elle le fait. Elle a aussi du chien par ses divers jeux d’équivalence entre ce qui est et n’est pas. Dans chaque image il se passe quelque chose, mais - avantage de cet art sur le cinéma - au regardeur d’imaginer la suite, de basculer dans les plongées que l’artiste affectionne et propose en recomposant le mouvement avec de l’immobile, et l’immobilité avec le mouvement.
Le flux vital passe donc par un filtre dont l'artificialité ajoute de nouvelles dimensions perceptives pour donner naissance au couple représentation/réalité un surplus de persuasion et d’ironie. A la fois tout est donné et rien n’est donné quoique à portée de main. Le désir compris. C’est là l’habileté de Stéfanie la traîtresse : en son art de la suggestion, de la dramaturgie mais aussi de l’humour-cristal des simulacres libidineux : l’ivresse est programmée mais elle ne peut que se contempler.
Jean-Paul Gavard-Perret
Stéfanie Renoma, « Lost control » - Galerie Art Cube Paris, décembre 2017,« Vibrations » - Nolinski Hotel Paris, décembre 2017.
16:22 Publié dans Femmes, France, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
29/09/2017
Vegas Parano : Christian Lutz
Christian Lutz, « Insert Coins », Cente Culturel Suisse, Paris, Octobre 2017
Christian Lutz s’est retrouvé à Vegas (qu’il a photographié de 2011 à 2014) dans son domaine de prédilection photographique : l’oxymore. Derrière les fastes et le clinquant des Casino il met à nu la misère de manière frontale, sombre, violente mais non sans humour. Las Vegas est saisi comme hors-champ et dans ses marges de paradis de l’artifice, du jeu et de l’argent.
Le photographe fait jaillir une opacité. Il plonge en des espaces où les êtres sont des perdants et des prisonniers. L’artiste les saisit avec un mélange de fascination et d’effroi. D’où l’apparition d’images rebelles, rétives à toute séduction facile. Un assourdissant silence se fait entendre comme un acouphène lancinant dans le non-dit ou non montré de la cité des plaisirs.
La poésie des images est gouvernée par un mouvement de descente, de plongée, de miroitement diffracté. Le créateur est entrainé par une curiosité fascinée dans les labyrinthes d’une monstruosité anodine. De l’espace « paysager » comme du portrait émane un empire visuel inédit là où tout est plus ou moins disloqué. La confrontation à de telles œuvres n’est pas facile. Mais elle rend précieuse cette approche, son étonnante ambiguïté et sa cruelle beauté.
Jean-Paul Gavard-Perret
11:14 Publié dans France, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
02/09/2017
Harmonies et disharmonies de Danilo Dueñas
Danilo Dueñas suggère l'écart (irréversible ?) entre l'image et la chose, entre le lieu tel qu'il fonctionne et tel que la sculpture le fait fonctionner. C'est d'ailleurs une thématique récurrente chez le Colombien qui montre toujours le vide que le plein appelle en ses expériences de la dilatation ou de vidange du temps et de l'espace. Le créateur est un artiste de la perturbation qui remet en question l'enjeu de la représentation. Il impose sa loi et renvoie un regard différent sur la majesté des lieux d’exposition. Ils ne sont pas mis en abîme mais fonctionnent dans l'imaginaire de celle ou celui qui s'en approche d'une autre façon.
Face à la multiplication ou la simplification des lignes, aux lourds élargissements des masses surgit un puzzle en trois dimensions qui en dit long sur ce que l'architecture produit comme effets, affects et percepts. Danilo Dueñas impose une distorsion et un transfert d'optique dans la polyphonie d'étreintes de ses éléments épars-disjoints. Se quitte la capture architecturale dont parle Deleuze. L'intensité produite par un tel contrepoint n'est plus induite par la "diègèse" revendiquée et appelée par le bâtiment-mère. La sculpture-père déplace l'objet du désir et permet de transformer le réel en figuré. L'artiste rappelle que la sculpture comme l'architecture se constitue certes dans le sensible mais aussi par le sensible et c'est ainsi qu'elle peut trouver ce que Carl André appelle "sa seule harmonie" qui, et Danilo Dueñas le prouve, n'est jamais imitative.
Jean-Paul Gavard-Perret
Danilo Dueñas, « Réparer la vision », Villa du Parc, Centre d’art contemporain, 12 Rue de Genève, Annemasse, Du 16 septembre au 22 décembre
07:57 Publié dans France, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)