05/10/2020
Nathalie Léger-Cresson : effacements progressifs des pangolins
Avec Nathalie Léger-Cresson il faut se méfier des eaux dormantes... L'auteure se dit transparente : voire... L'auto-fiction se transforme non sans raison en ce qu'elle nomme une "surfiction" progressive du désir. Ecrivant au besoin "à la lumière de ma lampe à huile de thon en boîte", elle fait un sort à ses agissements et ses rencontres : amants plus ou moins de passage mais pas seulement.
A travers son calendrier - où se perdent les jours quoiqu'ils se multiplient - s'instruit la création sous forme de journal plus ou moins intime de, sinon des légendes, du moins des manières de faisander le réel pour le rendre plus consommable. Libre, altière, drôle, performante au plus haut point - si on la suit dans ses divagations aussi sérieuses que farcesques - Nathalie Léger-Cresson propose en conséquence des rêves amplifiés pour corriger les drames couvés non par les mères de vinaigres mais des sortes de malotrus qui croyant la conquérir se perdent.
Exit les langueur mélancolo-romantiques et bienvenus aux hop ! hop ! hop ! qui laissent benoit jusqu'au pangolin... D'autant que la réclusion covidienne ne convient pas à l'imperturbable. Elle cultive ses cinq à sept non ascètes à l'épreuve des nuits et des jours entre boulot et métro mais pour divers dodos. C'est du grand art. Celui qui s'éloigne du confinement et non seulement le temps d'une pandémie car ici, le vagabondage féminin prend une force exponentielle et jouissive. Celle qui avait déjà ravi par ses précédents livres chez la même éditrice passe au vrombissement entre autres par des jeux géniaux de graphisme dans son existence littéraire tatouée plus en joie qu'en douleur :
m o t e u r !
Jean-Paul Gavard-Perret
Nathalie Léger-Cresson, "Le sens du calendrier", Editions des femmes - Antoinette Fouque, Paris, 171 p., 15 E, 2020.
14:00 Publié dans Femmes, Fiction, Humour, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)
14/05/2020
Amourante tendresse de l'abandon - Barbara Cardinale
Barbara Cardinale vit et travaille à Lausanne. Le livre d’artiste occupe une place prépondérante dans sa pratique artistique. Elle en publie régulièrement chez des éditeurs suisses et français. La plasticiene travaille en grande partie avec la technique du transfert qu’elle explore sur différents supports tels que le bois, le papier ou encore le cuivre et combine souvent cette technique avec des rehauts au crayon graphite ou à l’encre.
Se créent de la sorte des "capsules périphériques" pour reprendre le titre d'un de ses livres mais aussi des portraits humains et animaliers dont la substance déborde ce qu'elle est normalement et ce dans le périmètre précis que représente chaque silhouette. Et si le ventre déborde ce n'est jamais d'un pantalon mais d'une bouche plus ou moins et implicitement dévorante au milieu de tenailles de marines exotiques au dessus des genoux.
Des bustes s'aggripent à divers éléments comme aux ligaments de la langue plastique dont les muscles nourrissent ce qui écrase les vertèbres. Le déconfinement n'est pas de mise puisque tout se passe à l'intérieur d'un corps en mutinerie. Avec Barbara Cardinale il ne se contente jamais de reposer en paix mais se délecte d’étoiles, disséque le soleil dont il avale la clarté. Le tout dans la vague d’une silhouette : la créatrice la coud en cert-volant pour la transformer en danse ou rêverie.
Jean-Paul Gavard-Perret
Voir site art&tfiction, Lausanne.
08:41 Publié dans Femmes, Fiction, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
02/05/2020
Matylda Hagmajer : soleil gelé
Habiter notre monde actuellement n'est pas simple. Vivons-nous des temps ultimes ? En tous les cas l'existence n'est pas toujours une sinécure. Matylda Hagmajer le rappelle à travers une histoire vieille de 200 ans. Marguerite Gremon, jeune paysanne savoyarde, rejoint Genève rêvant d'ascension sociale en entrant au service d'une femme originale - Anna Roux - en quête d'un développement intellectuel qui n'est pas habituel chez les femmes de son époque.
Les destins des deux protogonistes sont bouleversés par la catastrophe météorologique. Elle frappe Genève mais aussi l'Europe. Le soleil soudain s'est "éteint" lors de l'"Année sans été" suite à l'explosion du volcan Tambora en Indonésie en 1815. Les températures se retrouvent bien en deça des normales saisonnières. Les pays sont soumis à des pluies torrentielles, aux orages fulgurants. Parfois aussi aux couchers de soleil rougeoyants qui ont inspiré le Frankenstein de Mary Shelley (elle écrit son roman sur les bords du Léman) et aussi certains tableaux de William Turner. Mais cet évènement est surtout source de famines et de désastres que l'auteure rappelle à travers le cheminement des deux femmes.
Le roman, à sa manière, fait le tour d'une question qui se repose en 2020 certes pour d'autres raisons. Il rappelle une dilution aussi économique que sociale et écologique. L'auteur - au delà l'aspect psychologique de son livre - montre que l'Apocalypse brutal n'est pas toujours pour demain mais pour le jour même. Néanmoins le roman réinvente et réapprend une forme de vie dans l'appel à une tendresse et une harmonie du globe loin du seul ordre des édiles bien démunis face à des causes voire des enjeux qui leur échappent.
Jean-Paul Gavard-Perret
Malylda Hadmajer, "Le soleil était éteint", Sltakine, Genève, 2020, 24 E.
08:04 Publié dans Femmes, Fiction, Genève, Histoire, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)