04/01/2021
Nadia Lee Cohen : pourquoi cacher ce qu'on ne saurait voir ?
"Women" - premier livre de la photographe britannique installée à Los Angeles Nadia Lee Cohen - est une iconographie pop hyper-surréaliste où la nudité est centrale. Mais s'y cache une vision émouvante qui échappe au voyeurisme basique là où le silence semble être l'unique liturgie.
Les femmes réunies ici ne résident pas vraiment au sein du monde dans lequel nous vivons, et ne partagent pas ses normes "politiques" ou les valeurs de la beauté. La nudité commune à toutes les images est reprise pour montrer que son niveau n'est pas absolu mais est déterminé par ce que l’individu pense être personnellement le déshabillé.
Les femmes montrées dans ce livre remarquable ne sont pas faibles. Elles se sentent autonomes en conséquence autonomisent le regard. Preuve que la nudité possède d'autres ingrédients que la culture des fantasmes. Elle peut devenir une revendication féministe. Particulière certes mais féministe tout de même.
Jean-Paul Gavard-Perret
Nadia Lee Cohen, "Women", Préface d’Ellen von Unwerth, Vogue, 216 p., 2021.
16:03 Publié dans Femmes, Fiction, Images, Monde | Lien permanent | Commentaires (0)
17/12/2020
Colette Fellous : aller simple
Kyoto devient l'écrin de l’écran d'un film étrange ou le miroir qui peut se traverser. L’Autrefois rencontre le Maintenant. C’est pourquoi l'auteure réinvente son propre cinéma intime. L’Imaginaire fait germer le passé en une relation double avec l’image de la ville japonaise et le corps de la fillette. Ce dernier "métaphorise" celui de son accompagnatrice. Si bien que le voyage au pays du Soleil Levant donne à la vie de Colette Fellous le roulis d’une perspective large d’émotions. Le changement de décor, de cap et la présence de la fillette opère une fente dans la psyché de la créatrice.
Soudain l'auteure peut aller plus loin avec elle-même d'où ce besoin d'imaginer qu'un tel voyage serait éternel. S'y recreusent des sources, s'incisent les songes qui échappent à la seule tyrannie de la Méditerranée. Déplacement et présence placent Colette Fellous dans une situation perceptive nouvelle. Elle offre à son passé des transformations successives. Certes la boucle n’est jamais bouclée mais en cette construction mentale, le "direct" est toujours différé et se trame selon une représentation paradoxale, à savoir celle de l’évidement de l’évidence pour créer un abyme.
Une enquête filée est tout autant décortiquée dans l'espace de la cité lointaine là où la créatrice tresse un geste de remise symbolique. Il replace ou plutôt déplace le je. Un tel "eastern" dissout la frontière du moi ou le creuse au moment où le Japon dénude le réel. "Kyoto Song" remet en cause - à travers les sensations - bien des souvenirs. Jaillit la perception de leur perception. Se retrouve la clarté déplacée de l'enfance. Elle permet de voir ce qui n’avait pas encore de nom, de s’approcher de soi en s’approchant de l’autre par la hantise de l'air suave où des ombres étendent leurs coloris, leur poussière, et surtout la diaphanéité. En un tel "chant" l'oeuvre de la créatrice trouve ici une paradoxale assise, une sorte de départ sans appel - sinon de celle qu'elle fut.
Jean-Paul Gavard-Perret
Colette Fellous, "Kyoto Song", Gallimard, Paris, 2020, 192 p., 20 E.
14:57 Publié dans Femmes, Fiction, Lettres, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
13/11/2020
Triangulation des hallucinations : Audrey Piguet
Les photographies d'Audrey Piguet sont des empreintes qui changent l’œil en signal. Le regard glisse à travers les interstices, les épaisseurs par la magie de la lumière dans un univers de science-fiction parfois délétère mais le plus souvent grandiose. Car si certains personnages tirés de l'imagerie populaire des super héro(ïne)s sont fatigués, les monstresses et monstres que créent l'artiste triomphent.
Ils peuvent souligner la marque du manque, mais face à l'horizon ils témoignent de leur gloire. La présence - transformée en artifice - est là pour séduire, capter et déjouer l'imaginaire du regardeur. Il devient le témoin inquiet d’un mystère. Le tout par des postures où l’artifice est incarné. La créatrice transforme l’illusion en extase. Elle ouvre les yeux du voyeur qui, croyant rêver se réveille. Si bien que le luxe de la parure des femmes se prête au prélude d'une prolifération de métaphores voire de fantasmes.
La photographe invente l’illusion d’une obscénité de l’incroyable selon une fantasmagorie parfois ironique. L’image n’est plus créée par les hommes et pour eux mais par une femme et pour elles. Audrey Piguet donne une forme de calme au plaisir et une beauté aux tempêtes par le don de la chair de diverses natures en clandestinité à ciel ouvert. Elle projette la posture de clarté sur l’intouchable, invente la parure d’innocence d’un tabou. L’extase de l’apparition à l’intérieur le jeu de l’artiste avance masquée. Et c’est bien là toute la poésie de telles présences. Elles vaquent entre errance et redémption.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:49 Publié dans Femmes, Fiction, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)