27/07/2015
Pamela Littky & Stefanie Schneider : hot line
Pamela Littky a traversé pendant trois ans d’Ouest en Est la Vallées de la Mort en passant par ses deux « portes » : Baker (Californie) et Beatty (Nevada). L’artiste non seulement a su faire éprouver la beauté des lieux (sans insister pour autant sur les effets lyriques faciles en un tel lieu mythique) mais surtout celle des gens qui y ont fait racine en s’adaptant à la chaleur oppressante de ce désert. « Peut-être est-ce à l’origine le nom macabre du lieu qui piqua ma curiosité » dit l’artiste. Peu à peu elle s’est surtout confrontée à elle-même dans les petites bourgades où la température atteint près de 50 degrés plusieurs mois par an.
Un tel lieu ne peut en effet laisser indifférent : soit il paraît invivable, soit l’être y trouve une impression étrange de communion avec le monde. La photographe la traduit en une série exceptionnelle. Stefanie Schneider l’accompagne - en créant une ambiance particulière (photo 3) autour de femmes seules - sans autre souci que la recherche de vérité. Dans l’incandescence des déserts l’artiste « force » le corps à se montrer tel qu’il est. L’éphémère de l’instant saisi suggère de mystérieux et fascinants « motifs ». Chez les deux artistes la réalité et les faits sont là mais laissent présents le rêve, le désir, une forme de fiction.
Le Désert de la Mort prouve en quelque sorte qu’il ne mérite pas son nom. La vie palpite. Frontières, limites extrêmes, seuils mais aussi « cœurs » ouverts deviennent une manière d’explorer ce qui tient à un incessant devenir. Trop d’artistes le confondent avec le néant. Les deux photographess’y refusent. Elles transforment chaque prise en cérémoniel austère ou poétique. Elles divaguent parmi les lieux jusqu’à en faire surgir une sensuelle mystique.
Jean-Paul Gavard-Perret
Pamela Littky & Stefanie Schneider, « Desert Voices », Galerie De Re, Los Angeles.
11:18 Publié dans Femmes, Images | Lien permanent | Commentaires (0)
26/07/2015
Chantal Michel : les regards indiscrets et l’envers du libertinage
En donnant l’impression de ne pas y toucher et sous couvert d’innocence Chantal Michel joue d’une subtile perversité. Ses femmes sont d’indociles roses de personnes qui s’intègrent dans des narrations propres à explorer dans divers dédoublements des territoires inconnus. La Bernoise ouvre un espace permissif expérimental où l'être se révèle différent de son quotidien. Le corps lui-même « dénude » les normes, les stéréotypes en une confrontation avec lui-même, les autres, le monde. La sensualité devient complexe, car si la pulsion libidinale induit l’œuvre, la maîtrise technique la nourrit en mêlant le plaisir et l’angoisse.
Par le renouvellement du dispositif stratégique des photos et performances Chantal Michel introduit un autre libertinage : il ne joue plus sur la seule séduction de façade. Ce travail traite de la sphère l’intime sans provoquer une excitation primaire. Un ignoré de l’être est rendu visible. Le corps exposé parle le désir de manière allusive sans que le premier soit proposé dans sa nudité. Tout joue de la suggestion par l’intrusion d’éléments incongrus. Les scénographies surenchérissent l’abolition du mur qui sépare la femme de son image. Nous sommes désormais éloignés du côté "stimuli-réponse" que propose dans sa prétendue vérité la représentation. Elle est trop souvent "un abus de mémoire...plutôt une mémoire de la main qu'une mémoire du cerveau" (Baudelaire) dans laquelle la sexualité est chosifiée. Décalée de ses codes esthétiques classiques l’image ici traite de la sphère intime afin qu’un ignoré du corps et de la société soit rendu visible.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:48 Publié dans Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
06/07/2015
Camille Moravia et l’intime
Alors que certaines femmes saisies par Camille Moravia dorment dans des lits de fortune d'autres gardent une sérénité près d'une alter ego même si selon l'artiste l'amour n’est pas de tout repos. Parfois, dans le champ, des vanités règnent. Les modèles ne s’en étonnent pas même si parfois, face à elles, certaines se recroquevillent comprenant que surgissent les limites qui sont imposées par le destin. Aucune pourtant fait preuve de véhémence même si chaque réponse est suspendue : elle ne peut atteindre qu’un lieu intermédiaire. Celui où l'artiste rejoint ses modèles.
Camille Moravia sait que l’intimité ne se « donne » pas facilement. Mais chaque portrait est une sidération. Pour cela l’artiste rappelle à ses modèles ce que Matta demandait aux siens : non être mais « se désêtre ». Demeurer en s’abolissant dans la paix et le risque du total abandon. Aspirées par les contradictions d’ombres et de lumière, les effets de jours noirs et de nuits blanches, les corps semblent entrer dans le rêve inépuisable même lorsque tout semble fini. Une beauté est mise mais sans le moindre « léché ». Chaque portrait engendre des « découpes », des impulsions si bien que l’image devient « naïve » et sourde là où les corps s’abandonnent. L’artiste en devient la grutière : chaque être est à moitié soulevé par des hélices de lumière au sein de nappes de cendres.
Jean-Paul Gavard-Perret
21:46 Publié dans Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)