16/11/2017
Lapin levé n’a pas d’oreille : Pascale Favre
Pascale Favre, « Aster. Une vie de lapin », coll. Pacific, Art&fiction, 2017, 240 p., CFF 27.
Pascale Favre est née en 1970 à Genève où elle vit et travaille. Outre l’enseignement et l’édition, son œuvre s’articule autour du dessin, de l’installation et de l’écriture. Elle prend les images mentales et l’activité de la mémoire comme matières premières afin de décaler perception et appréhension de l’espace et du temps. Ici lapin au caractère fort plus que domestique alimente, entre dessins et textes, ce qui se fragmentent en diverses narrations. L’animal devient bon gré mal gré - une sorte de sage par procuration.
Le temps de l'histoire se situe dans l’enfance de la créatrice. Les textes décrivent les souvenirs vécus et partagés avec le lagomorphe « confident » des joies ou moments plus difficiles de l'enfance et de l'adolescence. Les narrations s'enrichissent de réflexions sur les rapports à l'animalité, à l'attachement, à la douceur. Rien de mièvre néanmoins. Mais un retournement de l’anthropomorphisme. Le lapin nous regarde et rappelle que nous avons beaucoup à apprendre des animaux même si nous pensons en savoir plus qu'eux
Pascale Favre évoque le lapin Cézanne les pommes. Elle fait comprendre qui nous accompagne, qui se cache en nous. Elle rappelle à qui et à quoi il faut demeurer fidèle. Loin de tout romantisme le travail de mémoire de la créatrice exploite à dessein le dessin pour compléter les trous d’oubli du langage écrit. Il y a donc là tout un jeu de « mémoires de mémoires ». L'art et la littérature se doivent au lapin lorsque la décision radicale qui habite un créateur l’impose.
Elle y ose une intimité. Qui sait alors si soudain le lapin ne coagule pas nos fantômes ? L'artiste n'a cesse de les aiguillonner pour en accentuer l'espace qu'ils habitent à travers l'animal. Disparu, ressuscité le lapinou fabrique une perspective que nous voulons ignorer. Les mots tentent de l'apprivoiser. Mais c'est impossible. Comme si le jour où le lapin pourrait être apprivoisé, l'œuvre serait terminée.
Jean-Paul Gavard-Perret
10:03 Publié dans Femmes, Genève, Images, Lettres, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
15/11/2017
Karlheinz Weinberger et les mauvais garçons (enfin presque)
Longtemps méconnu la Suissesse Karlheinz Weinberger est désormais célèbre par ses portraits des « Halbstarke », blousons noirs zurichois que le temps rend moins mythiques qu’inoffensifs. Ces portraits intitulés « Intimate Stranger » ont été exposés dans une certaine indifférence 1980 au Klubschule Migros avant d’être repérés 20 ans plus tard au Swiss Institute de New York et au Museum für Gegenwartskunst de Bâle.
Les clones maladroits de James Dean, Gene Vincent ou Vince Taylor (qui finira sa vie à Lausanne) attendaient la photographe comme le messie afin qu’elle donne corps à leur révolte adolescente. Mais les marges d’alors sont celles des fêtes foraines. Les « rebels without a cause » de la classe ouvrière y zonent et posent pour effrayer les badauds. Manière pour eux d’exister en exhibant signes et symboles d’une rébellion fantasmée plus que réelle. Avec le temps ils sont plus touchants qu’effrayants voire presque dérisoires.
Il n’empêche : Karlheinz Weinberger saisit les instances de cette signalétique avec attention : ceinturons, chaînes, boucles, blousons reprennent l’imaginaire d’une identité des « barrières » en gestation. Les bandes et leurs armoiries traduisent les signes d’une dissidence encore bien fluctuante et qui copie celle de l’Angleterre pré thatchérienne. L’âge d’or de l’après-guerre et ses années de richesse règne encore. Ce ne sera qu’au moment de la crise pétrolière et ses incidences sur l’économie occidentale que la jeunesse des classes laissées pour compte va quitter un déguisement en fac-simile pour revêtir des armures plus signifiantes et opérationnelles. Pour l’heure la colère était naïve et les « méchants » candides.
Jean-Paul Gavard-Perret
09:46 Publié dans Culture, Femmes, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
14/11/2017
Maya Bösch : les fantômes et leurs ombres
Maya Bösch, « Explosion of Mémories », Centre de la Photographie de Genève, 16 novembre au 3 décembre 2017.
Maya Bösch continue à se distinguer par le caractère exploratoire des formes qu’elle conçoit ou promeut depuis qu’elle a fondé la Compagnie « Sturmfrei » à Genève. Elle travaille désormais autant comme curatrice, chef d’orchestration que créatrice. « Explosion of Mémories » le prouve.
À l’origine du projet ; sa découverte de Gibellina (village rural sicilien détruit par un tremblement de terre en 1968) et d’un enfant de ce « pays » : le producteur italien Nicolo Stabile. Le sujet du projet est l’investissement d’un nouveau type de lieu de mémoire. Maya Bösch s’intéresse - au-delà de la nature de la mémoire - à la manière dont elle déchire le temps selon des processus physiques qui la font naître « à travers deux instants, deux images, deux sons, deux émotions, dans la fente mentale comme une apparition ».
«Explosion of Memories» réunit le premier film de la créatrice et une série d’installations sonores, visuelles, et plastiques (photographies de Christian Lutz prises lors du tournage du film à Gibellina en 2016 par exemple) afin d’évoquer la quête de « l’impossible réconciliation entre l’espace aliénant du présent et celui, rêvé, explosé de la mémoire » Il s’agit d’errer parmi les ruines, de ressentir sa tragédie. Les artistes réunis créent un système de localisation et de délocalisation en variations de focales, distances, déplacements, variations là où le sens à accorder aux images est interrogé afin de savoir si de telles images ouvrent les porte du rêve, de la destruction, de l’utopie ou de la fin des temps.
Jean-Paul Gavard-Perret
19:58 Publié dans Femmes, Genève, Images, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)