14/04/2019
Tristan Félix contre l'idôlatrie de l'apparence
Tristan Félix rameute par la fiction une présence qui n’a rien de forcée. Ovaine est bien plus que son double. Ses métamorphoses sont là pour pénétrer d’une manière non discursive bien plus que les secrets du coeur de la créatrice. Elle nous met en "repons" avec un monde multiforme. D'où l'impression d'un voyage, d'un aller sans retour pour espérer rebondir plus avant par un tel manuel de "félixité".
La chronologie ne crée pas ici une continuité analogique sinon de type surréaliste. Au milieu de rapprochements inexplicables (?), l'être peut non seulement la bête mais se la doit. Le roman devient un bestiaire à travers des chemins qui semblent mener nulle part. Mais un tel propos hirsute réduit le "rêve de d'Alembert" à un divertissement d'ilotes.
S'élabore une procession fabuleuse dans un discours polyvalent où grâce à la vie animale la fiction devient la "théorie des exceptions" romanesque mais aussi un poème en prose polyphonique. Existe là une franc-maçonnerie esthétique et hérétique. L'héroïne comme son auteur n'y avance pas masquée mais impossible de les voir aller "une" et tout droit.
Jean-Paul Gavard-Perret
Tristan Félix, "Ovaine La Saga", Tinbad Roman, Editions Tindbad, Paris, 228 p., 23 E, 2019.
10:05 Publié dans Femmes, Images, Lettres, Résistance | Lien permanent | Commentaires (1)
11/04/2019
Barbara Polla et les femmes en mouvement
La galeriste française Magda Danysz et la Suissesse Barbara Polla (Analix Forever, Genève) sont complices depuis longtemps. La seconde est curatrice de la nouvelle exposition de la galerie Danysz où est présentée une série de vidéos en hommage - et quel hommage ! - aux femmes. Avec « Fucking Beautiful » (2017) la galerie réunissait six artistes femmes vidéastes. "Moving Women" élargit le propos : 4 femmes (Dana Hoey, Clare Langan, Yapci Ramos et Lee Yanor), et 4 hommes (Laurent Fiévet, Shaun Gladwell, Erwin Olaf, Mario Rizzi) créent des visions de femmes en mouvements : parfois sûres d'elles parfois soumises au doute eu égard à leur position en divers eaux troubles ou tours d'écrou.
L'ensemble crée beaucoup d'émotions de nombreux registres. Dans la vidéo de Shaun Gladwell, de l'océan dépasse un visage de femme casquée en aviatrice. Il s'agit de celui d'une célèbre pilote ("double psychique" du vidéaste) partie à la recherche de son mentor disparu en mer. Le même esprit préside à la vidéo de Clare Langan où une mère et sa fille s’embrassent, nagent, fusionnent à la surface de l’eau. Parfois néanmoins le portrait de la femme est plus violent ou douloureux mais toujours nourri de réel : aux boxeuses, fières, invincibles de Dana Hoey font place des femmes hantées ou engluées en des situations plus difficiles (camp de réfugiés, en Jordanie chez Mario Rizzi).
Chaque film est d'une beauté perturbante et ouvre bien des portes. La convergence de diverses luttes passe par la poésie visuelle où s'inscrivent divers parcours et un appel à l'amour loin des tartes à la crème des leçons de conduite. Le féminisme devient un humanisme au sens profond du terme ; il est à la fois existentiel et politique, le tout avec élégance et loin des enfumoirs brumeux. L'engagement n'a rien de claironnant : il passe par le corps des femmes et les droits qui leur reviennent au sein de diverses situations. Celles-ci produisent des chroniques vertigineuses mais tout autant accessibles là où les "embarquements" intensifient l'espace et élargissent l'aura des femmes.
Jean-Paul Gavard-Perret
Collectif, "Moving Women", Galerie Danysz, Paris, du 13 avril au 16 mai 2019.
19:37 Publié dans Femmes, France, Images, Résistance, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
09/04/2019
Cécile Xambeu : en général les histoires d'amour finissent mal.
Cécile Xambeu, « Angèle n’a pas de sex appeal et craint pour ses ailes », Editions des Sables, Genève, 25 CHF
Créatrice polymorphe et performeuse - au sein de sa compagnie genevoise « C’est quand qu’on va où » qui séduit actellement le canton suisse et ses environs. Le spectacle fait connaître de grands textes fondateurs de la poésie contemporaine et des musiques majeures (de Ravel aux compositions du percussionniste Lucas Duclaux-Loras) et ce avec une belle santé - Cécile Xambeu est aussi la poétesse enjouée et grave des sentiments universels.
Au théâtre, son texte "Mater d'Asile" (monté il y a quelques années à Genève) mettait en exergue l'amour filial et les personnes âgées en déshérence. Dans sa vie d'Angèle (largemennt autobiographique?...) elle fait partager ce que nous éprouvons dans nos histoires d'amour. Leur "usage" n'est pas forcément facile, facile (euphémisme). Et parfois l'auteur le rappelle à travers ce qui se passe (ou ne se passe plus) : "M’asseoir un moment pour assécher mes yeux / les sentir insensibles à la beauté des lieux / Cacher ma peine sous les fagots de bois. / Oublier ma déraison, mes émois /Tu n’es pas amoureux /ça me plie en deux." Tout est dit.
Néanmoins pas question de renvoyer l'amour à une fin de non recevoir et qu'importe s'il entraîne parfois ses éclats de voix. Va pour le Pierrot d'amour. "Moi sa peau, elle me console / c’est un peu mon eldorado / je va lui oter sa camisole / Vu que j’aime bien ses défauts /Y me fait craquer, même habillé /je va quand même jeter son costard / voler son coeur, /le pousser dans l’plumard". Cécile sait xava xavaça (comme disait Queneau) pas durer toujours. Mais sans flacon comment trouver l'ivresse ? Il faut préférer qu'il se casse plutôt que de renfermer son propre cœur dans une urne de porphyre. Et qu'importe après tout si certains porcs le font frire.
Jean-Paul Gavard-Perret
11:09 Publié dans Femmes, Genève, Humour, Lettres, Suisse | Lien permanent | Commentaires (1)