04/02/2020
Les clartés fuyantes de Doïna Vieru
Doïna Vieru tente de venir à bout de l'écriture du désastre - chère à Maurice Blanchot - à travers des dessins de déconstruction et de ravinement par le fusain, l'encre, l'acrylique blanche. Les matrices premières où les mots deviennent illisibles sont soumis à un brassage tellurique - érotiquement implicite - là où la loi du père est remis en cause puisque les mots ne peuvent plus servir de re-pères..
Le geste seul parle dans sa puissance et un brouhaha visuel. Il oblige l’artiste à une reprise et une insistance là où le féminin de l’être se joint à sa force phallique confisquée par les mâles. La densité devient de la sorte ailée. A la perte fait place reprise dans des mouvements qui déplacent les signes. Ce qui tient du culturel ou du social est dépassé au sein d'un travail de persistance qui emporte toute notion de renoncement.
La curiosité et l’émerveillement prennent corps là où « la règle est celle de l’absence de règles, ce qui constitue la règle suprême. » (Shitao). L'artiste fait sienne là où le dessin oblige l'artiste à "une dépuration et une assurance du trait dont la peinture n’a pas besoin" écrit-elle. Mais néanmoins par son aspect premier (un enfant dessine avant d'écrire) cet art primitif crée ce qui peut tenir face aux décréations en cours. La souverainieté du "rien" devient la poésie de l'espace. Elle joue de l'extinction, de la biffure tout en luttant contre la perte et le renoncement par un dédoublement. Il sort de certains mirages pour créer un lieu de métamorphoses aux clartés fuyantes.
Jean-Paul Gavard-Perret
Doïna Vieru, "Re-écriture du désastre", Galerie de Nesle Paris, à partir du 20 février 2020.
14:20 Publié dans Culture, Femmes, France, Images | Lien permanent | Commentaires (0)
Philippe Thireau : parfum de poudre à la violette
Reprenant une situation chère à Rimbaud et Ramuz, Philippe Thireau - en une suite de fragments et reprises - raconte l'histoire du soldat et de la jeune fille violette. L'auteur joue de situations et d'un langage qui mêle de l'ancien et du neuf. S'y rejoue ce qui s'est passé pour beaucoup de jeunes français appelés sous les drapeaux lors de ce qu'on eut du mal à nommer "Guerre d'Algérie".
L'écrivain mêle épopée et exorcisme dans une histoire d'eaux : celle des oueds du Magrheb comme des torrents qui ravagent les campings lors des orages d'été. Ces fragments sont eux mêmes propres aux tremblements et débordements. Ecrire sur les gestes devait être l'intention de l'auteur au départ. Puis sont venus en foule tant d’images et d’instants, tout en même temps : les poteaux télégraphiques, le son des corbeaux, la pluie et le soleil.
Synchronicité ou dissonance, plusieurs niveaux s’enchevêtrent, les voix relient des contraires. Des histoires se rencontrent pour un récit subjectif : c'est voir quelque chose comme autre chose, regarder quelque chose avec une certaine distance, y voir non pas l’éternité de la mort mais l’éphémère, l’impermanence de l'amour. Il s’agit peut-être de se laisser perdre. Puis la danse est venue dans un silence de mort , clic et claque.
Jean-Paul Gavard-Perret
Philippe Thireau, "Mélancholia", coll. Tinbad fiction, Tindbad 2ditions, Paris, 2020, 52 p., 11,50 E..
10:30 Publié dans Culture, Lettres | Lien permanent | Commentaires (0)
03/02/2020
Bill Ray : synchronicité et dissonance
Bill Ray, l’un des derniers photographes du magazine "Life"", né en 1936, il vient de décéder. Il reste un des témoins majeurs de la vie américaine autant autour de ses icones, ses failles (Hell Angels) que la vie quotidienne.
Ces photos les plus emblématiques restent celle Marilyn Monroe chantant pour le président John F. Kennedy pour son 45e anniversaire au Madison Square Garden et les divers portraits d'Elvis Presley - en particulier lorsqu'il intègre l'armée américaine. Il aima non pas tant voyager qu’être dans les lieux, observer ce qui s'y passe là où il est question du corps des femmes et des hommes, d'une violence sourde mais aussi et surtout d'une forme de joie
Bill Ray a l'instint pour saisir les images d'instants entre synchronicité ou dissonance, plusieurs niveaux s’enchevêtrent là où il capte des gestes ou situations qui le frappent et l’étonnement. Ce mot est celui qui vient le plus souvent pour tenter de dire son expérience et son art.
Jean-Paul Gavard-Perret
19:31 Publié dans Culture, Images, Monde | Lien permanent | Commentaires (0)